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Puis, riant aux éclats, elle courut se pendre au cou de Bamboche, pendant que la Levrasse, resté attablé, jetait sur les deux enfants qui s’en allaient ainsi enlacés, un regard sombre, ironique et ardent.

Bientôt la nuit jeta son ombre sur la voiture, dans laquelle nous nous entassâmes pour dormir.

 
 

Ce qui me reste à dire, pour expliquer la douloureuse transformation de Basquine, pauvre enfant, naguère encore si naïve et si candide… tout ce qui se rapporte enfin à cet effrayant changement, me brûle pour ainsi dire les lèvres.

À cette heure, que je jette un regard intelligent et expérimenté sur le passé, je ne sais qui l’emporte du dégoût, de l’indignation ou de l’épouvante ; mais je tiens à poursuivre la tâche que je me suis imposée, et que je me félicite d’accomplir en écrivant ces pages.

Je le sens, il y a pour moi quelque chose de salutaire à reporter mes yeux vers cet odieux passé… Les mouvements de révolte et d’horreur qu’il excite de plus en plus en moi, me prouvent que, chaque jour, je m’affermis davantage dans la voie du bien ; la pénible émotion que j’éprouve aujourd’hui, l’espèce de tremblement dont je suis saisi à la pensée de traverser de nouveau, et seulement par le souvenir… cet abîme de perversité, de corruption, d’infamie, me dit assez haut qu’il ne suffit pas de ressentir de l’aversion pour le mal, mais qu’il me faut encore, malgré l’infimité de ma condition, faire tous mes efforts dans mon humble sphère, pour prévenir, empêcher ou guérir ce mal qui m’inspire cette haine, cet effroi salutaires.

Oui… ce que j’ai à raconter pour expliquer la transformation de Basquine me brûle les lèvres… Et cependant je serai loin de tout dire… il est des révélations devant lesquelles ma plume tombera malgré moi.

Cette malheureuse enfant avait quitté son père, innocente et pure