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notre fuite, lorsque j’appris soudain que l’heure de notre liberté venait de sonner.

Quand le théâtre de nos représentations se trouvait au milieu des villes, nous logions à l’auberge ; mais lorsque nous nous établissions en dehors des habitations, nous couchions tous pêle-mêle dans le fourgon et dans la voiture nomade, en partie distribuée comme une cabine de vaisseau ; ceci rendait les entretiens secrets et nocturnes à peu près impossibles.

Pendant le souper qui suivit notre répétition générale, réfection prise en plein air, Bamboche m’ayant fait plusieurs signes dont je compris parfaitement le sens, je tâchai de me rapprocher de lui durant le court espace de temps qui séparait la fin du repas de l’heure de notre coucher.

— Pour cette fois, Martin, — me dit Bamboche d’une voix basse, émue sans doute par la gravité de la nouvelle qu’il m’annonçait : — pour cette fois j’ai enfin ce que je voulais.

Et il appuya étrangement sur ces mots.

— Aussi demain, — reprit-il, — dans la nuit… nous filons avec ma femme.

— Vrai ! — m’écriai-je, sans pouvoir cacher ma joie. — Alors, pourquoi pas nous sauver cette nuit ?

— Impossible… je te dirai pourquoi… Seulement, fais attention à ne pas t’endormir demain soir ; quand nous serons tous couchés dans la cabine, ferme les yeux, mais ne dors pas.

Puis, Bamboche reprit avec une expression de bonheur triomphant et concentrée :

— Enfin… demain dans la nuit… libres comme des oiseaux… et vengés… oh ! bien vengés… car… voilà assez de temps que je cherche un bon moyen, et celui-là est…

La grosse voix de la mère Major interrompit mon rapide entretien avec Bamboche.

— Allons donc nous coucher, tonnerre de n… de Dieu !… — dit l’Alcide femelle, en prenant le bras du paillasse.

— Eh !… on y va… se coucher, grosse tour ! — reprit Basquine, en grossissant sa voix enfantine.