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Un matin, le temps était sombre, orageux (je ne sais pourquoi cette circonstance m’avait frappé) ; je conduisis, pour la première fois, mon ami dans la chambre de Basquine…

Malgré la joie sincère que m’inspirait le bonheur de Bamboche, au moment où nous entrâmes dans cette misérable chambre, mon cœur se serra… se brisa…

J’eus sans doute instinctivement la conscience que, de ce jour… de ce moment… s’accomplissait fatalement la destinée de cette malheureuse enfant… et que j’étais involontairement, ingénument, l’un des instruments de cette fatalité.

Autant par discrétion que par crainte de troubler par ma tristesse soudaine et involontaire cette première entrevue… je m’éloignai après avoir dit à Basquine :

— Voilà mon bon frère, dont je t’ai tant parlé.

— Oh ! oui… — dit naïvement Basquine, — aussi je l’aime bien déjà.

 

Environ une heure après, voyant revenir inopinément la mère Major et Poireau, que nous croyions absents pour toute la journée, mais que le mauvais temps ramenait, je rentrai précipitamment dans le cabinet où j’avais laissé Basquine et Bamboche ; je voulais les prévenir de l’arrivée de nos maîtres ; car il avait été convenu entre nous que lui et elle se diraient malades le plus longtemps possible, afin de reculer le moment de nos exercices.

J’entrai donc.

Basquine, assise sur son lit, jouait ingénûment avec les cheveux noirs de Bamboche, qui avaient beaucoup allongé pendant sa maladie ; lui, assis aux pieds de Basquine, sur un petit tabouret, ses coudes sur ses genoux, son menton dans ses deux mains, la contemplait en silence avec une tendresse ineffable mêlée d’une timidité craintive qui me frappa.

Mon retour soudain ne parut nullement surprendre mes deux amis.

Bamboche se leva, vint à moi et me dit d’une voix émue, en me montrant Basquine :