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messe faite à mon père ; le second prix d’honneur me fut décerné, et après la formule d’usage, la voix fatale acclama :

« — Léonidas Requin !

« Et la musique joua la marche de Fernand Cortez pour mon défilé.

« Un sourd murmure de curiosité accueillit mon nom ; les grandes nouvelles se communiquent toujours avec une rapidité électrique : on savait déjà (comment le savait-on ?) que le fameux élève de la pension Raymond qui, cédant à une modestie exagérée, s’était jusqu’alors dérobé à des triomphes si flatteurs, se laisserait enfin publiquement couronner.

« Au premier appel de mon nom, accompagné de fanfares retentissantes, un nuage passa devant mes yeux, j’eus d’affreux bourdonnements dans les oreilles, mais je me dis : Mon père me regarde, courage.

« Sur ce, je me levai et marchai courageusement à gauche… c’était à droite qu’il fallait aller… Une main compatissante me retourna tout d’une pièce, et l’on me dit : — Va tout droit.

« Je suivis le fil des banquettes.

« — À gauche, maintenant ! — me cria la même âme pitoyable.

« Je tournai à gauche, et me trouvai dans le large espace qui, séparant la salle en deux parties, conduisait à l’estrade. Je me dirigeai vers ce but les yeux fixes, sans plus regarder ni à mes pieds, ni à droite ou à gauche, que si j’avais traversé une planche jetée sur un abîme… j’avais pris pour unique point de mire la splendide simarre de S. Ex. Mgr le grand-maître de l’Université.

« Guidé par cette espèce d’étoile polaire, j’arrivai enfin aux premiers degrés de l’estrade ; mais je les gravis si précipitamment, ou plutôt si maladroitement, qu’embarrassant mes pieds dans les tapis, je me laissai choir au milieu des marches, ma physionomie ahurie, mes habits ridicules, l’accouplement de noms singuliers auxquels je répondais, avaient déjà parfaitement disposé l’audi-