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— Puisque tu es sûr de cela… à la bonne heure… — dis-je, le cœur serré, — mais ne la bats pas trop fort… Pauvre petite…

— Si elle m’aime de bonne volonté… je ne la battrai que plus tard… (pas pour mon plaisir… car, si ça faisait le même effet, j’aimerais mieux cent fois être battu moi-même…) mais je la battrai pour qu’elle me craigne… car, comme le disait le cul-de-jatte, une femme qui n’a pas peur de vous… vous fait aller…

— C’est dommage qu’il faille tant battre, — dis-je à mon ami avec un soupir.

Bamboche resta quelques moments pensif et, après ce silence, il reprit d’un air sombre et concentré :

— Il n’y a qu’une chose qui m’effraye.

— Quoi donc ?

— C’est que la Levrasse… ne soit aussi amoureux de Basquine… — me répondit Bamboche les dents serrées de colère et de rage.

— Lui !… à son âge ?… — lui dis-je.

— Est-ce que la mère Major n’a pas fait de moi son amant ? — me répondit brutalement Bamboche, — aussi, celle-là encore, va-t-elle abominer Basquine… Et puis le pitre[1] que nous attendons, s’il est aussi canaille que l’ancien paillasse Giroflée, qui est entré au séminaire… il est capable d’en être amoureux aussi, de Basquine… Je sais bien comme Giroflée tourmentait la petite qui est morte.

Puis, frappant du pied avec rage, ses grands yeux gris étincelants, les veines de son front gonflées par la colère, Bamboche s’écria :

— Tiens, vois-tu, Martin… je sens que je ferai des malheurs à cause de Basquine.

L’amour horrible, mais possible, de la Levrasse ou de notre futur paillasse pour cette enfant, la haine jalouse de la mère Major, les étranges moyens auxquels Bamboche devait recourir pour se faire aimer, me parurent d’une complication si effrayante pour l’avenir de Basquine et de Bamboche, que je gardai le silence pendant que

  1. Pitre, en argot de bateleur : paillasse ou queue-rouge.