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l’acheteur ; elles demandaient trois ou quatre francs de leur chevelure, la Levrasse consentit à grand’peine à leur en donner vingt sous…

Les vingt sous furent acceptés… C’était du moins du pain pour trois ou quatre jours…

Il y eut encore un moment qui me causa une impression cruelle : ce fut de voir, pour ainsi dire rasées, toutes ces têtes naguère couvertes d’ondoyantes chevelures que la Levrasse moissonnait avec ses énormes ciseaux, et qu’il nouait ensuite soigneusement en écheveaux avec des rubans de fil.

Le marché était sans doute excellent, car la figure sardonique de la Levrasse rayonnait de joie, ses plaisanteries méchantes ne tarissaient pas.

— Au lieu d’être tristes, réjouissez-vous donc, mes poulettes, — disait-il en faisant grincer les ciseaux sur ces têtes penchées qu’il dépouillait. — Ces cheveux, qui ne vous servaient à rien du tout, vont avoir l’honneur de faire l’ornement de la tête de grandes dames d’un certain âge, qui portent des tours ou des perruques… Ils seront ornés de turbans d’étoffes d’or et d’argent, de pierreries magnifiques, de superbes diamants… vos cheveux ! tandis que, sur votre tête, ils n’auraient été toujours couverts que de vos coiffes crasseuses… Et puis, vous qui criez toujours misère, vous pourrez au moins dire qu’une partie de vous-mêmes ira en voiture, dans les plus belles fêtes de la capitale… ce qui est joliment flatteur… je m’en vante, et pourtant… vous ne payez rien pour ça… au contraire… c’est moi qui vous paye… Tenez, mes poulettes, je suis si bon que j’en suis bête… aussi, je vous le déclare, à l’avenir… je ne payerai rien… on me donnera ses cheveux… pour l’honneur…

Les cruels lazzis de la Levrasse furent interrompus par la belle jeune fille dont j’ai parlé.

Elle s’avança près de la fenêtre, s’assit timidement sur le bout du banc, ôta sa petite coiffe, et courba la tête sans prononcer une parole.

À la vue de sa magnifique chevelure d’un noir de jais qui se déroula si longue, qu’elle tomba jusqu’à terre, où elle se replia autour de ses pieds nus ; si épaisse, qu’elle cachait les haillons de la