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placé mes habits… la garde viendra… soit, nous nous expliquerons… je ne crains rien.

— C’est comme ça ! — me répondit l’hôte, — eh bien ! au lieu de batailler, nous allons aller chez le commissaire et nous verrons… Il ne manquerait plus que cela… pour quatre mauvais sous qu’on me donne… risquer de répondre de cinquante ou soixante francs d’habits… Allons, en route chez le commissaire.

L’assurance de cet homme, son raisonnement, qui, je l’avoue, me paraissait juste, surtout en me rappelant ses paroles de la veille, je ne réponds que de ce que je garde ; cette réflexion, juste aussi, qu’en supposant même que l’hôtelier fût condamné à m’indemniser de mes habits volés, cette indemnité ne me serait accordée qu’après un procès jugé, et combien de jours, de semaines, se passeraient avant le jugement ! réfléchissant enfin que, par ses relations sans doute fréquentes avec des gens aussi malheureux que moi, cet homme pouvait m’être utile, je lui dis dans ma résignation amère :

— Soit, Monsieur ; on m’a dépouillé chez vous. Vous n’êtes responsable de rien ; je ne le pense pas. Mais enfin, je consens à vous épargner un scandale toujours fâcheux, en ne portant pas ma plainte… mais à une condition.

— Je ne crains pas le scandale, moi… Je suis dans mon droit… mais c’est égal, dites toujours la condition… Je me mets à votre place… C’est embêtant d’être déshabillé à vue, comme un changement de théâtre. Mais je vous l’ai dit, fallait mettre vos habits sous votre tête, ou vous coucher tout habillé. Règle générale, c’est ce qu’on doit faire quand on ne connaît pas la société avec qui on perche.

— Ces conseils sont tardifs… Monsieur ; je vous en demanderai d’autres… J’ai bon courage, bon vouloir ; je sais lire, écrire et compter ; je connais bien le français… un peu d’histoire et de géographie ; de plus, j’ai un état : je suis assez bon ouvrier charpentier. Vous devez souvent rencontrer des gens dans ma position… Comment faire pour trouver à Paris de quoi vivre honnêtement ?

— Diable ! trouver de quoi vivre honnêtement ! Et… en hiver ! Vous n’êtes pas difficile, mon garçon. Vous croyez que de l’ouvrage,