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Je ne compris pas la signification de ces paroles du cocher : Nous marchons à l’heure, paroles que je ne savais pas si méchantes pour mes faibles ressources… D’ailleurs j’étais atterré par cette question qui résumait si nettement mon cruel embarras :

— Où allons-nous ?

Où aller en effet ?

Soudain je me rappelai Bamboche.

— Quelle Providence ! — pensai-je ; — et combien Claude Gérard a eu raison de m’engager à conserver son adresse !

Ouvrant aussitôt l’enveloppe qui la contenait, j’y trouvai une carte satinée, où je lus en lettres gravées presque imperceptibles :

Le capitaine Hector Bambochio,
19, rue de Richelieu.

Quoique ce grade militaire, et que cette terminaison étrangère du nom de mon ami d’enfance me surprissent étrangement et me laissassent beaucoup à penser, je me trouvais dans une situation trop critique… et je le dis en toute sincérité, j’éprouvais un trop vif désir de revoir Bamboche pour m’arrêter à ces scrupules ; je me crus sauvé de la funeste position où je me trouvais, et je dis donc au cocher, avec un soupir de joie, en montant dans la voiture :

— Conduisez-moi rue de Richelieu, numéro 19 : est-ce loin d’ici ?

— À deux pas, mon bourgeois.

Et le fiacre s’achemina vers la rue de Richelieu. Tout était oublié : l’effrayante incertitude de l’avenir, ainsi que les craintes que pouvait m’inspirer la mauvaise influence de Bamboche ; j’allais le revoir après huit années d’absence… lui qui m’aimait toujours tendrement : sa démarche auprès de Claude Gérard le témoignait assez ! Peut-être, enfin, allais-je avoir, par Bamboche, des nouvelles de Basquine… Pour la première fois, depuis bien longtemps, je ressentis une émotion de bonheur, émotion d’autant plus douce, qu’un moment auparavant j’étais plus désespéré.

Le fiacre s’arrêta vers le commencement de cette rue si bruyante, si brillante : car nous étions à la fin de décembre, et quoiqu’il fît