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Puis Claude Gérard me tendit les bras.

 
 

Cette séparation me causa une des plus horribles douleurs que j’aie ressenties de ma vie.

Et cette douleur, un hasard cruel me la fit boire jusqu’à la lie.

La patache qui me conduisait au relais où je devais trouver la diligence de Paris, traversait dans sa longueur la genêtière sur laquelle donnait la petite fenêtre de Claude Gérard.

Je parcourus ainsi, pour quitter le village, le même chemin que j’avais autrefois suivi pour aller au rendez-vous où Bamboche, Basquine et moi devions nous trouver après le vol commis chez Claude Gérard.

De la banquette où j’étais assis, je vis au loin l’instituteur, debout à sa petite fenêtre et me faisant de la main un dernier adieu…

Je pus à peine étouffer mes sanglots. La voiture tourna… et tout disparut à mes yeux.

Puis, dernière épreuve, la patache atteignit la montée conduisant à la croix de pierre au pied de laquelle j’avais trouvé le petit châle de Basquine dans une mare de sang.

Au bout d’une heure, nous atteignîmes le relais, et je pris place dans la diligence de Paris.

Le protecteur que je devais à la paternelle bonté de Claude Gérard avait payé mon voyage et fait les avances nécessaires pour que j’arrivasse à Paris vêtu convenablement.

Cette idée d’aller vivre à Paris… ambition de tant de gens forcés de vivre en province, ne me causait aucun de ces éblouissements joyeux auxquels j’aurais dû m’attendre… Loin de là, en songeant à Claude Gérard et à l’isolement de cœur auquel j’allais être condamné, c’est avec une tristesse mêlée de regrets et presque de crainte que je m’acheminai vers la grande ville.