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mais là… de tout cœur… Ah ! vous êtes bien heureux… vous !… — ajouta-t-il en portant brusquement la main à ses yeux. —— Dites-lui que je l’aime ni plus ni moins qu’il y a huit ans… et que je n’y comprends rien. Car, tonnerre de Dieu ! je n’étais pas tendre, et je suis devenu diablement coriace. Ça ne fait rien… pour lui je n’ai pas changé… dites-lui ça… et que, quand il le voudra, je suis à lui, tête et cœur, bourse et bras… enfin, à vie et à mort… comme chez la Levrasse… et s’il vient jamais à Paris… voilà mon adresse… Ne craignez rien pour lui… je peux être utile à un honnête homme…

— Et cette adresse ! — m’écriai-je involontairement et les yeux pleins de larmes.

— Cette adresse… — dit Claude Gérard en faisant un pas vers sa petite table noire, du tiroir de laquelle il tira une enveloppe cachetée, la voici… Je l’ai mise sous ce pli, mon cher enfant… Une fois à Paris, tu seras libre d’en prendre connaissance.

Je saisis vivement l’enveloppe que je considérai silencieusement avec une sorte de crainte.

Claude Gérard poursuivit :

— J’ai longtemps hésité, mon enfant, à te faire cette confidence ; c’est de cette hésitation que je m’accuse auprès de toi… Je devais être assez certain de la solidité des principes que je t’ai donnés, et de la fermeté de ton caractère, pour ne te rien cacher… Cependant, j’ai longtemps redouté pour toi l’influence souvent irrésistible d’une amitié d’enfance… Il ne se passait presque pas de jour où tu ne me parlasses de tes anciens compagnons pour regretter, il est vrai, que, comme toi, ils n’eussent pas rencontré un guide austère et sûr… mais cette préoccupation même prouvait la persistance de ton affection pour Basquine et pour Bamboche.

— Et Basquine, — m’écriai-je, — il ne vous en a rien dit ?

— Rien…

— Pauvre petite ! Elle aura sans doute été victime du crime dont j’ai trouvé quelques traces…

— Il faut espérer que non, mon cher enfant… — me dit Claude Gérard ; puis il reprit :

— Telles ont été les raisons qui m’avaient engagé à te cacher mon