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ler, — m’écriai-je les mains jointes, voyant luire un rayon d’espoir, — Oh ! je vous en supplie, laissez-moi partir ce soir.

— Et où irais-tu ?

— Je tâcherais de rejoindre mes compagnons.

— Et si tu parvenais à les rejoindre, que ferais-tu ?

— Je resterais avec eux.

— Pour voler encore ?

— Oh ! non… pas toujours…

— Comment ! pas toujours ?

— Nous ne volions… que lorsque nous ne pouvions faire autrement.

— Tu comprends donc… qu’il aurait mieux valu ne pas voler ?…

— Dame !… on ne risque pas d’être arrêté… et puis…

— Et puis ?…

— On dit que ce n’est pas bien de voler… mais quand on a faim, il faut manger.

— Puisque vous ne voliez pas toujours, comment viviez-vous le reste du temps ?

— Nous demandions l’aumône… et d’autres fois… Basquine chantait dans les cabarets, — répondis-je étourdiment.

— Basquine ? — reprit Claude Gérard en me regardant avec surprise.

Je ne répondis rien, regrettant de m’être ainsi échappé. Pendant quelques instants, l’instituteur garda de nouveau le silence. Enfin il ajouta, sans paraître avoir remarqué ma soudaine réticence :

— Pourquoi tiens-tu autant à rejoindre tes compagnons ?

— Parce que nous nous sommes juré de ne jamais nous quitter, — m’écriai-je.

— Ordinairement, un enfant de ton âge ne s’engage guère par de pareils serments avec de grandes personnes, — me dit Claude Gérard.

— Mes compagnons ne sont pas de grandes personnes, — m’écriai-je.

Voyant que je regrettais ce second aveu involontaire, Claude Gérard ajouta :