Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jolie demoiselle… se charge de notre compagne ; vous ne vous en repentirez pas…

— Oh !… non… bien sûr, Mademoiselle… — dit Basquine en cherchant de son regard suppliant le regard de Régina, que je ne quittais pas des yeux ; car, vue de près, sa beauté me semblait plus éblouissante encore, et je me sentais troublé jusqu’au fond de l’âme,

— Allons donc, — reprit la gouvernante en haussant les épaules d’un air rogue et pincé, — ça n’a pas le bon sens, ce que vous demandez là ; nous ne vous connaissons pas du tout… nous ne savons pas du tout qui vous êtes. Et vous voulez que ces Messieurs et mademoiselle prient leurs parents de se charger de vous ? est-ce que c’est possible ?

— Pourtant nous sommes trois enfants… bien malheureux… — dit Bamboche d’une voix vibrante… — trois enfants bien à plaindre, allez… et qui méritent pitié… vrai… Voyons, ma bonne dame… Martin vous l’a dit : que chacun de vos enfants se charge d’un de nous ; ils sont si riches… si heureux !… Ça ne leur coûtera rien… et ça leur portera bonheur ; car un jour ils auront en nous des amis… des frères… qui se feraient tuer pour eux…

— Tiens… ces petits pauvres, — dit Scipion avec une moue dédaigneuse, — ils disent qu’ils seront nos amis… nos frères ! Est-ce que je veux aller avec des petits mendiants comme ça, moi ?

— Mon bon petit monsieur, — lui dit Bamboche d’une voix pénétrée en s’approchant de lui, — vous avez été toujours heureux… vous, n’est-ce pas ?… vous n’avez jamais eu ni la faim, ni le froid, ni la misère… vous n’avez jamais été battu… Eh bien ! mettez-vous un peu à notre place, à nous qui avons souffert tout ça… et vous serez bons pour nous…

— Est-il bête, ce grand-là ? — dit Scipion, — il me demande si j’ai eu faim et froid.

Je vis l’angle de la mâchoire de Bamboche tressaillir, ainsi que cela arrivait toujours lorsqu’il contenait sa violence naturelle, mais il resta calme.

Régina semblait seule émue ; par deux fois son blanc visage devint