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coups de coude très-significatifs à chacune des excellentes choses que nous voyions servir dans des plats d’argent. Car depuis la veille nous étions à jeûn ; il pouvait être alors trois ou quatre heures ; la vue de ces mets appétissants irritait encore notre faim ; tandis qu’à notre grande surprise, ces heureux enfants mangeaient à peine du bout des lèvres.

Le vicomte Scipion avait derrière lui un des deux grands domestiques galonnés, qui le servait avec une respectueuse obséquiosité, tâchant, ainsi que la gouvernante, de prévenir les moindres désirs de cet enfant.

M. le vicomte venait de toucher à peine à une tranche de je ne sais quel pâté qui excitait particulièrement ma convoitise, lorsque, prenant son verre rempli d’eau et de vin, il en versa le contenu dans le pâté en riant aux éclats.

— Mais, Scipion, pourquoi gâter ce pâté ? — dit la gouvernante.

— Je n’en veux plus, — dit le vicomte.

— Mais j’en aurais mangé, moi, — s’écria Robert.

— Ah bien, tu mangeras autre chose ; il y a de quoi. Tant pis… c’était à moi le pâté.

Bamboche fit un brusque mouvement d’indignation et ne put s’empêcher de murmurer à voix basse :

— Cré… galopin… va !

Basquine et moi poussâmes notre compagnon du coude. Il se contint.

Mais voici que M. le vicomte s’écria tout à coup d’un air surpris et courroucé :

— Tiens ! il n’y a pas de crème ?

— Scipion, vous savez que la crème vous fait mal, voilà pourquoi on n’en a pas apporté, — dit la gouvernante.

— Je veux de la crème… moi.

— Mais…

— Je vous dis que j’en veux… Qu’on aille en chercher tout de suite…

Et comme la gouvernante résistait, il s’en suivit de la part de