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que tout le monde fût méchant… Eh bien ! allons dans une ville : sur cent personnes nous en trouverons bien une de compatissante ; nous lui dirons tout et on aura pitié de nous.

— Martin a raison, n’est-ce pas, Bamboche ? — dit Basquine.

— Oui… si l’on nous refuse, nous frapperons à une autre porte ; il faudra bien que nous trouvions un bon cœur…

— Avec nos quatre pièces d’or, nous aurons de quoi vivre pendant quelques jours, — repris-je, — et…

— Tonnerre de Dieu ! — s’écria Bamboche en frappant du pied avec désespoir.

— Qu’as-tu donc ?

— Ces pièces d’or… de peur de les perdre, je les avais mises sous une pierre dans un coin de la masure où elles sont restées… Nous voilà sans le sou…

— Silence… — dis-je tout à coup à voix basse. — Écoutez, c’est le bruit d’une voiture…

— Ne bougeons pas qu’elle ne soit passée, — me dit Bamboche.

Et nous restâmes muets, immobiles, tapis au milieu de l’épais taillis où nous nous étions arrêtés pour nous reposer, après avoir erré quelques heures dans d’inextricables fourrés, dont les ronces avaient mis presque en lambeaux nos vêtements déjà bien usés.

Le bruit que j’avais remarqué se rapprocha de plus en plus, car nous nous trouvions sans le savoir près de l’un des carrefours de la forêt.

Une trouée à travers le feuillage déjà éclairci en quelques endroits par les premières froidures de l’automne, nous permit de distinguer une voiture qui bientôt s’arrêta auprès d’un poteau indicateur des routes, poteau dont la base était entourée d’une table de pierre circulaire.

Cet équipage, le plus beau que j’eusse jamais vu, était une calèche menée par quatre superbes chevaux montés par deux petits postillons en vestes couleur marron, avec un collet bleu de ciel ; deux domestiques en grande livrée, aussi marron et bleu, splendidement galonnée d’argent, étaient sur le siège de derrière.