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on m’y conduisait ; mais nous deux, le cul-de-jatte, nous avons pu nous échapper.

— Mon Dieu… qu’allons-nous faire ? — lui dis-je.

— Ah ! dame, c’est que de devenir de braves et honnêtes garçons, — reprit Bamboche en se grattant la tête, — il paraît que c’est pas encore si facile que ça en à l’air… il n’y a pas qu’à vouloir… enfin… nous tâcherons ; mais d’abord il faut quitter ce pays-ci.

— Tôt ou tard, — dis-je à Bamboche, — nous aurions toujours été forcés d’abandonner notre île… Je sais bien que c’est du bon temps de perdu ; mais enfin, une fois hors de l’île, qu’est-ce que nous aurions fait ?

— Mon idée était de retourner chez le père de Basquine.

À un mouvement craintif de l’enfant, Bamboche reprit :

— Sois tranquille… je sais ce que j’aurais à dire à ton père… Il est charron… nous nous mettrons en apprentissage chez lui… moi et Martin… nous deviendrons de bons ouvriers… Mais qu’est-ce que tu as, Basquine ? — dit vivement Bamboche, — tu pleures ?

— Mon père… est peut-être mort, — dit-elle en fondant en larmes.

Puis elle ajouta avec un accent déchirant :

— Ah !… c’est il y a un an… que nous aurions dû… retourner chez nous, comme vous me le promettez tous les deux pour me consoler.

— C’est vrai, — dit Bamboche d’un air sombre, — nous t’avons menti, nous t’avons trompée, mais il n’est plus temps de regretter cela… Allons toujours dans ton pays…

— Revoir ma mère… je n’oserai jamais, — dit Basquine en frémissant de honte, — oh ! jamais !…

— Je te comprends… — répondit Bamboche, — tu as peut-être raison… C’est ma faute.

Et il baissa la tête avec accablement.

— C’est ma faute…

— Écoutez, m’écriai-je, saisi d’une idée subite : — Bamboche disait ce matin que, parce qu’un homme riche lui avait refusé du secours et du travail après la mort de son père, il ne s’ensuivait pas