Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

potagères ; plusieurs vieux poiriers chargés d’une énorme quantité de fruits, étaient disséminés çà et là dans le petit potager, tandis qu’une superbe treille couverte de grappes d’un pourpre violet couvrait entièrement un des pignons de la masure.

Ne voyant, n’entendant personne, nous entrâmes dans cette masure composée de deux petites pièces, vides de tous meubles ; dans l’une était une haute cheminée dégradée par le feu ; cette demeure avait sans doute été naguère habitée par quelque forestier, préposé à la surveillance de cette île, car de nombreuses hardes de cerfs et de biches des forêts voisines venaient s’abreuver et se baigner dans la petite rivière, et traversaient quelquefois cette île solitaire[1].

Ravis de notre découverte, nous fîmes le tour de la masure ; son autre façade donnait sur une pelouse verte, beaucoup plus longue que large, encaissée de roches grises, couronnée d’une si belle châtaigneraie, que ces arbres séculaires formaient presque le berceau, entremêlant leurs branchages d’un côté à l’autre du gazon.

À quelques pas de la masure, une petite source sortait du creux d’un rocher, et, de cascatelle en cascatelle, tombait avec un léger murmure dans un bassin naturel rempli de cresson sauvage, d’où elle se perdait sans doute ensuite par quelque fuite souterraine…

— Si nous ne voyons personne dans l’île, — s’écria Bamboche, — je propose de nous établir ici pendant un jour ou deux… Il y a de l’eau… des pommes de terre… des châtaignes, du raisin, des poires… nous vivrons comme des dieux…

— Moi, je propose d’y rester huit jours, — s’écria Basquine ravie.

— Restons-y tant que nous nous y plairons, — ajoutai-je.

— Accordé, — dit Bamboche ; mais avant il faut nous assurer qu’il n’y a personne pour nous chasser d’ici…

— Hélas ! c’est vrai… on pourrait nous chasser, — reprit tristement Basquine, — quel dommage !…

  1. Je suis revenu dans ces lieux, qui, pour tant de raisons, devaient me laisser d’impérissables souvenirs, et j’ai su alors que cette petite île, située à gauche du Désert (immense plateau inculte et rocheux qui sépare les forêts d’Ermenonville et de Chantilly), s’appelait l’île Molton. La masure était alors complétement ruinée. (Note de Martin)