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que tu voudras ; mais si c’est pour moi, ne t’en fais pas… c’est déjà bien assez de bonheur d’être libres… et tous trois ensemble.

— Martin a raison, vois-tu, Bamboche ? — dit timidement Basquine ; — nous sommes ensemble, tant pis pour l’argent… ça n’est pas moi qui le regrette, toujours… Et puis, — ajouta-t-elle avec une sorte d’hésitation craintive, — au moins… comme cela… nous n’aurons pas volé… et ça vaut mieux… n’est-ce pas, Bamboche, de n’avoir pas volé ?

— C’est vrai, — ajoutai-je. — Quant aux louis d’or qui sont avec le plomb, nous les avons joliment gagnés… car la Levrasse ne nous a jamais donné un sou depuis que nous travaillons pour lui… et pourtant il a ramassé de fameuses recettes.

— Qu’est-ce que ça me fait à moi, de voler ? — reprit rudement Bamboche, — et comme disait le cul-de-jatte, puisqu’on ne me donne rien, je prends où je peux… C’est comme les loups… on ne leur donne rien, ils prennent où ils peuvent… D’ailleurs voler les voleurs ce n’est pas voler… La Levrasse était un voleur.

— Enfin, puisqu’il se trouve que nous n’avons pris que ce qu’on nous devait, Basquine a raison, ça vaut mieux, — dis-je à Bamboche. — Quant au trésor, ça nous est égal de n’être plus riches. Est-ce que tu y tenais beaucoup, toi ?

— Tonnerre de Dieu !… oui, j’y tenais… pour vous et pour moi ! — s’écria Bamboche.

— Mais ça nous est égal… à nous.

— Ça ne me l’est pas à moi… tiens, — me répondit brusquement Bamboche.

— Ainsi Basquine et moi… nous ne te sommes rien… tu ne penses qu’à cet argent perdu, — dis-je à notre compagnon, — tu n’es pas juste, non plus.

Bamboche fut sensible à ce reproche ; car, d’un grand coup de pied, envoyant au loin le sac vide et les sacoches, il reprit gaiement :

— Ah ! bah ! tant pis… vous avez raison, vous autres… Quand je serai là une heure à me manger le sang, à quoi bon !… nous sommes volés… eh bien ! nous sommes volés… Embrasse-moi,