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Me dit Bamboche, pâle, les traits contractés par une expression de joie féroce.

— Oui… le feu… ils vont rôtir dans ce brasier comme des démons qu’ils sont, car ils sont enfermés dans la cabine ; la porte du vestiaire est fermée, et j’ai cloué la portière en dehors…

— Oh !… comme ils crient… les entendez-vous ! — dit Basquine aussi effrayée que moi des hurlements qui s’échappaient de la voiture dont le plancher s’embrasait.

— Tout à l’heure, ils ne crieront plus, — dit Bamboche.

Puis il ajouta d’une voix précipitée

— Maintenant, à cheval sur Lucifer… dans deux heures nous aurons gagné les bois… je connais le chemin.

— À cheval… nous trois sur Lucifer, — m’écriai-je, — c’est impossible… montes-y avec Basquine… je tâcherai de vous suivre.

— M’écouteras-tu ! — cria Bamboche, d’une voix terrible.

Et me faisant faire volte-face, il me jeta pour ainsi dire en selle sur Lucifer, tout bridé, tout bâté, et qui, effrayé par la flamme de l’incendie, renâclait, couchait ses oreilles, frappait du pied, et tâchait de briser le licou qui l’attachait à un pieu.

— Tu es plus léger que moi, — me dit Bamboche, — reste là, tu assoiras Basquine devant toi, elle te tiendra à bras le corps, moi je monterai en croupe… vite… vite.

Basquine, légère comme un oiseau, fut d’un bond placée devant moi.

Les cris des victimes renfermées dans la voiture devenaient affreux.

Bamboche, d’un coup de couteau, trancha la longe qui retenait Lucifer… L’animal, épouvanté, bondit, partit comme un trait, et au même instant Bamboche, sautant en croupe derrière moi, s’écria :

— Laisse aller Lucifer, il tourne le dos au feu… Il est en bonne route.

Notre poids n’était rien pour ce grand âne d’une vigueur extraordinaire : mais nous eussions pesé trois fois plus, qu’il fût parti