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demander un locataire inconnu pour expliquer ma présence dans cette maison.

Je voulais donner au cul de-jatte le temps de s’éloigner et de courir à ma recherche à l’un ou à l’autre bout de la rue. Après m’être arrêté quelques instants au dernier étage, je redescendis très-lentement, faisant une pause à chaque palier ; je gagnai ainsi un quart d’heure environ, puis je sortis avec précaution, regardant çà et là dans la rue, avant de quitter la voûte de la porte cochère.

Le cul-de-jatte avait disparu.

M’enfonçant dans le passage qui forme la cité Bergère, je marchai précipitamment, et suivant les rués les moins fréquentées de ce quartier, j’arrivai à de vastes terrains vagues, bornés d’un côté par les dernières maisons du faubourg, de l’autre par le mûr d’enceinte de Paris.

Une fois là je respirai, j’étais libre…

Durant cette marche précipitée, j’avais encore mûri ma résolution.

Je me sentais calme.

En jetant les veux autour de moi, j’aperçus, confinant les dernières maisons du faubourg, plusieurs excavations profondes, résultant de constructions interrompues sans doute par la saison d’hiver ; une clôture de planches à claire-voie entourait à peu près ces bâtisses. L’une d’elles s’élevait à peine au-dessus des fondations ; j’y remarquai une cave à demi achevée, mais dont le cintre complet formait un renfoncement profond. La Providence me servait à souhait. J’attendis la nuit avec impatience ; le jour me faisait mal…

Je me promenai longtemps dans ces terrains déserts ; un sombre brouillard les couvrit bientôt d’une brume épaisse.

Plus j’y songeais, plus ma détermination me semblait sage, logique, plus je m’étonnais aussi du terrible vertige dont j’avais été saisi, et auquel la vue de Régina venait de m’arracher.

Enfin la nuit vint.

Je fis facilement une trouée à la clôture de planches dont était entourée la construction inachevée. Je descendis dans les fondations et, au moyen d’un peu de paille, enlevée aux assises de pierre de taille que l’on recouvre pendant l’hiver, je me fis une sorte de litière