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l’intérieur de la loge et semblaient vouloir défendre le terrain pied à pied ; soudain on vit deux grands bras saisir le plus petit des récalcitrants, le soulever, le passer par-dessus la séparation de la galerie et le laisser retomber à la place qu’il avait quittée pour s’introduire dans l’avant-scène.

Cette preuve de vigueur et de sang-froid comique causa un enthousiasme général ; le paradis, le parterre éclatèrent en bravos, et une foule de voix s’écrièrent :

— L’auteur ! l’auteur !

Car l’homme aux deux grands bras, jusqu’alors presque inaperçu, s’était retourné vers le fond de la loge, afin, sans doute, d’en exclure l’autre intrus de la même façon ; mais celui-ci, ainsi que son compagnon transbordé dans la galerie, disparurent presque aussitôt pour échapper aux huées de la salle.

Cette exécution ne suffit pas ; la curiosité générale était trop vivement excitée ; on voulait, à toute force, contempler l’auteur de cette vigoureuse plaisanterie, et le parterre, le paradis, la galerie reprirent avec un formidable ensemble :

— L’auteur ! l’auteur !

Cet appel flatteur ne parut pas faire violence à la modestie de l’auteur du fait si admiré ; il s’avança au bord de la loge d’un air extrémement satisfait de lui-même, et salua cavalièrement le public en mettant la main sur son cœur avec un air de confusion grotesque.

Les cris, les bravos redoublèrent. L’homme aux grands bras voulant sans doute alors faire participer à cette flatteuse ovation une personne qui l’accompagnait, se retourna, et moitié de gré, moitié de force, il amena au milieu de la loge une assez jolie femme, à l’air effronté, quoiqu’un peu troublée par cette présentation inattendue.

Les avis furent partagés sur ce procédé de l’homme aux grands bras.

Les uns l’applaudirent avec enthousiasme, et ceux-là… il les salua de nouveau.

Les autres sifflèrent (Scipion Duriveau et son camarade furent de ce nombre) ; l’homme aux grands bras les salua aussi avec un imperturbable sang-froid.