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Herminie et Ernestine, il dit à celle-ci, pendant un de ces repos forcés que laissent les évolutions de la contredanse :

— Mademoiselle… vous connaissez mademoiselle Herminie ! Quelle bonne et charmante personne ! n’est-ce pas ?

— Je pense absolument comme vous, monsieur, quoique j’aie vu ce soir mademoiselle Herminie pour la première fois.

— Ce soir… seulement ?

— Cette soudaine amitié vous étonne… n’est-ce pas, monsieur ? Mais que voulez-vous ! quelquefois… les plus riches… sont les plus généreux… ils n’attendent pas qu’on leur demande… ils vous offrent… Il en a été ainsi ce soir d’Herminie à mon égard.

— Je vous comprends… mademoiselle… vous ne connaissiez personne ici… et mademoiselle Herminie…

— Me voyant seule… a eu la bonté de venir à moi… Cela doit, monsieur, vous surprendre moins que tout autre…

— Et pourquoi cela, mademoiselle ? — Parce que… tout à l’heure, — répondit Ernestine en souriant, — vous avez, monsieur, cédé, comme Herminie… à un sentiment de charité à mon égard… de charité… dansante, bien entendu.

— De charité… Ah ! mademoiselle, cette expression…

— Est trop vraie ?

— Au contraire.

— Voyons, monsieur… avouez-le… vous devez, il me semble, toujours dire la vérité.

— Franchement, mademoiselle, — reprit Olivier en souriant à son tour, — ferais-je acte de charité, je suppose… permettez-moi cette comparaison… en cueillant une fleur oubliée, inaperçue ?

— Ou plutôt… délaissée…

— Soit, mademoiselle…

— À la bonne heure…

— Mais qu’est-ce que cela prouverait ? sinon le mauvais goût de celui qui aurait préféré, par exemple, à une petite violette, un énorme coquelicot.

Et Olivier montra, d’un regard moqueur, la robuste et grosse jeune fille pour qui Ernestine avait été délaissée, et dont les vives couleurs avaient, en effet, beaucoup d’analogie avec le pavot sauvage…

Mademoiselle de Beaumesnil ne put s’empêcher de sourire à cette comparaison ; mais elle reprit en secouant la tête :

— Ah ! Monsieur, si aimable que soit votre réponse, elle me prouve que j’avais doublement raison.

— Comment cela, mademoiselle ?

— Vous avez eu pitié de moi, et vous en avez encore assez pitié pour craindre de me l’avouer.

— Au fait, mademoiselle, vous avez raison de vouloir de la franchise, cela vaut toujours mieux que des compliments.

— Voilà, monsieur, ce que j’attendais de vous.

— Eh bien ! oui, mademoiselle, en voyant que, seule… vous n’étiez pas engagée, je n’ai pensé qu’à une chose… à l’ennui que vous deviez éprouver… et je me suis promis de vous inviter pour la contredanse suivante. J’espère que voilà de la sincérité… mais vous l’avez voulu…

— Certes, monsieur… et je m’en trouve si bien que si j’osais…

— Osez, mademoiselle… ne vous gênez pas.

— Mais non… si franc que vous soyez, si amie de la vérité… que vous me supposiez, monsieur, votre sincérité s’arrêterait, j’en suis sûre, à de certaines limites…

— À celles que vous poseriez, mademoiselle, pas à d’autres.

— Bien vrai ?

— Oh ! je vous le promets.

— C’est que la question que je vais vous faire, monsieur… devra vous paraître… si étrange… si hardie peut-être…

— Alors, mademoiselle, je vous dirai… qu’elle me paraît étrange ou hardie… voilà tout.

— Je ne sais si j’oserai… jamais.

— Ah ! mademoiselle, — dit Olivier en riant, — à votre tour… vous avez peur… de la franchise.

— C’est-à-dire que j’ai peur… pour votre sincérité, monsieur, il faudrait qu’elle fût si grande, si rare…

— Soyez tranquille, mademoiselle… je réponds de moi…

— Eh bien !… monsieur… comment me trouvez-vous ?

— Mademoiselle… — balbutia d’abord Olivier, qui était loin de s’attendre à cette brusque et embarrassante question, — permettez… je…

— Ah ! voyez-vous, monsieur, — reprit gaîment Ernestine, — vous n’osez pas me répondre tout de suite ; mais tenez, pour vous mettre à l’aise… supposez qu’en sortant de ce bal, et rencontrant un de vos amis, vous lui parliez de toutes les jeunes personnes avec qui vous avez dansé… que diriez-vous… de moi à votre ami… si, par hasard, vous vous souveniez que j’ai été l’une de vos danseuses ?

— Oh ! mon Dieu ! mademoiselle, — reprit Olivier en se remettant de sa surprise, — je dirais tout uniment ceci à mon ami : « J’ai vu une jeune demoiselle que personne n’invitait… cela m’a intéressé à elle, je l’ai engagée… tout en pensant que notre entretien ne serait peut-être pas fort amusant, car, ne connaissant pas cette demoiselle, je n’avais à lui dire que des banalités, eh bien ! pas du tout : grâce à ma danseuse, notre entretien a été très animé ; aussi, le temps de la contredanse a-t-il passé comme un songe. »

— Et cette jeune personne ?… vous demandera peut-être votre ami, monsieur, était-elle laide ou jolie ?

» — De loin, — répondit intrépidement Olivier, — je n’avais pu bien distinguer ses traits… Mais, en la voyant de près… à mesure que je l’ai regardée plus attentivement, et que je l’ai surtout entendu parler… j’ai trouvé dans sa physionomie quelque chose de si doux, de si bon… une expression de franchise si avenante, que je ne pensais plus qu’elle aurait pu être jolie. » Mais, — reprit Olivier, — j’ajouterai (toujours parlant à mon ami)… ne répétez pas ces confidences… car il n’y a que les femmes de bon esprit et de bon cœur qui demandent et pardonnent la sincérité… C’est donc à un ami discret que je parle… mademoiselle…

— Et moi, monsieur, je vous remercie ; je vous suis reconnaissante, oh ! profondément reconnaissante, de votre franchise, — dit mademoiselle de Beaumesnil d’une voix, si émue, si pénétrante, qu’Olivier, surpris et ému lui-même, regarda la jeune fille avec un vif intérêt.

À ce moment, la contredanse finissait.

Olivier reconduisit Ernestine auprès d’Herminie qui l’attendait : puis, très frappé du singulier caractère de la jeune fille qu’il venait de faire danser, le jeune sous-officier se retira à l’écart quelque peu rêveur.

— Eh bien. ! — dit affectueusement Herminie à Ernestine, — vous vous êtes amusée, n’est-ce pas ? je le voyais à votre figure… vous avez causé tout le temps que vous ne dansiez pas…

— C’est que monsieur Olivier est très aimable… et puis, sachant que vous le connaissiez, Herminie, cela m’a mis tout de suite en confiance avec lui…

— Et il le mérite, je vous assure, Ernestine ; il est impossible d’avoir un plus excellent cœur, un caractère plus noble : son ami intime (et la duchesse rougit imperceptiblement) me disait que monsieur Olivier s’occupe des travaux les plus ennuyeux du monde… afin d’utiliser son congé et de venir en aide à son oncle, ancien officier de marine, criblé de blessures, qui demeure dans la maison, et qui n’a pour vivre qu’une petite retraite insuffisante.

— Cela ne m’étonne pas du tout, Herminie ; j’avais deviné que monsieur Olivier avait bon cœur.

— Avec cela, brave comme un lion ; son ami, qui servait avec lui dans le même régiment, m’a cité plusieurs traits d’admirable bravoure de monsieur Olivier.

— Il me semble que cela doit être : je me suis toujours