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que chez ma grognon de parente je n’avais pas sans doute une chambre aussi jolie que la vôtre ?

— Mais savez-vous, Ernestine, que vous seriez très dangereuse, si l’on avait un secret, — répondit la duchesse en riant, — vous devinez tout.

— J’en étais sûre… votre chambre est charmante ; quel bonheur d’aller la voir !…

— Il ne s’agit pas de dire : quel bonheur d’aller la voir !… il faut dire : Herminie, tel jour… je viendrai prendre une tasse de lait le matin avec vous.

— Oh ! je le dis… de grand cœur !

— Et moi j’accepte aussi de grand cœur ; seulement… lorsque vous viendrez, Ernestine, que ce soit à neuf heures, car à dix je commence ma tournée de leçons. Voyons, quel jour viendrez-vous ?

Mademoiselle de Beaumesnil fut tirée du nouvel embarras où elle se trouvait par la Providence, qui se manifesta sous l’aspect d’un charmant sous-officier de hussards, qui n’était autre qu’Olivier.

Fidèle à la compatissante promesse qu’il avait faite à mademoiselle Herbaut, le digne garçon venait, par charité, inviter Ernestine pour la prochaine contredanse.

Olivier, après avoir salué Herminie d’un air à la fois respectueux et cordial, s’inclina devant mademoiselle de Beaumesnil avec une politesse parfaite, et lui posa cette question sacramentelle :

— Mademoiselle veut-elle me faire l’honneur de danser la première contredanse avec moi ?


XXXVII.


Mademoiselle de Beaumesnil fut doublement surprise de l’invitation que lui adressait Olivier, car cette invitation devait être pour ainsi dire préméditée, puisque Ernestine ne se trouvait pas alors dans la salle de bal ; aussi très étonnée, la jeune fille hésitait à répondre, lorsque Herminie dit gaîment au jeune soldat :

— J’accepte votre invitation au nom de mademoiselle, monsieur Olivier… car elle est capable de vouloir vous priver du plaisir de danser avec elle… afin de me tenir compagnie pendant toute la soirée.

— Puisque mademoiselle a accepté pour moi, monsieur, — reprit Ernestine en souriant, — je ne puis que suivre son exemple.

Olivier s’inclina de nouveau, et s’adressant à Herminie :

— Je suis arrivé malheureusement bien tard, mademoiselle Herminie… d’abord parce que vous ne touchez plus du piano, et puis parce que j’ai appris que vous ne dansez pas.

— En effet… monsieur Olivier, vous êtes arrivé tard… car il m’a semblé vous voir entrer à la fin de la dernière polka que j’ai jouée…

— Hélas !… mademoiselle, vous voyez en moi une victime de ma patience, et de l’inexactitude d’autrui… J’attendais un de mes amis… qui devait venir avec moi…

Et Olivier regarda Herminie, qui rougit légèrement, et baissa les yeux.

— Mais cet ami n’est pas venu…

— Peut-être est-il malade, monsieur Olivier, — demanda la duchesse avec une affectation de parfaite indifférence, quoiqu’elle se sentît assez inquiète.

— Non… mademoiselle… il se porte à merveille… je l’ai vu tantôt ; je crois que c’est sa mère qui l’aura retenu… car ce brave garçon n’a aucune force contre la volonté de sa mère.

Ces paroles d’Olivier parurent dissiper le léger nuage qui, de temps à autre, avait, pendant cette soirée, assombri le front de la duchesse ; elle reprit donc gaîment :

— Mais alors, monsieur Olivier… vous êtes trop injuste de blâmer votre ami… puisque son absence a une si bonne excuse.

— Je ne le blâme pas du tout… mademoiselle Herminie, je le plains de n’être pas venu, car… le bal est charmant, et je me plains d’être arrivé si tard ; j’aurais eu plus tôt le plaisir de danser avec mademoiselle, — ajouta obligeamment Olivier en s’adressant à mademoiselle de Beaumesnil, afin de ne pas la laisser en dehors de la conversation.

Soudain ces mots :

— À vos places… à vos places… — retentirent dans la salle à manger, en même temps que les accords du piano.

— Mademoiselle… — dit Olivier en offrant son bras à Ernestine, — je suis à vos ordres…

La jeune fille se leva.

Elle allait suivre Olivier, lorsque Herminie, la prenant par la main, lui dit tout bas :

— Un instant… Ernestine… laissez-moi arranger votre écharpe… il y manque une épingle.

Et la duchesse, avec une sollicitude charmante, effaça un pli disgracieux de l’écharpe, la fixa au moyen d’une épingle qu’elle prit à sa ceinture, détira un froncement du corsage de la robe d’Ernestine, rendant enfin à sa nouvelle amie tous ces petits soins coquets que deux bonnes sœurs échangent entre elles.

— Maintenant, mademoiselle, — reprit Herminie avec une gravité plaisante, après avoir jeté un coup d’œil sur la toilette d’Ernestine, — je vous permets d’aller danser mais… surtout… amusez-vous bien !…

— Mademoiselle de Beaumesnil fut si touchée de la gracieuse attention d’Herminie, qu’avant d’accepter le bras d’Olivier, elle trouva moyen d’effleurer d’un baiser la joue de la duchesse en lui disant tout bas :

— Merci… encore… merci toujours.

Et, heureuse… pour la première fois depuis la mort de sa mère, Ernestine quitta Herminie, prit le bras d’Olivier, et le suivit dans la salle de bal.

Le jeune sous-officier, d’une figure remarquablement agréable et distinguée, cordial avec les hommes, prévenant avec les femmes, portant enfin avec une rare élégance son charmant uniforme de hussard, rehaussé d’une croix que l’on savait vaillamment gagnée, le jeune sous-officier, disons-nous, avait le plus grand succès chez madame Herbaut, et Ernestine, naguère si délaissée, fit bien des jalousies lorsqu’elle apparut dans la salle de bal, au bras d’Olivier.

Les femmes les plus ingénues ont, à l’endroit de l’effet qu’elles produisent sur les autres femmes, une pénétration rare ; chez mademoiselle de Beaumesnil, à cette pénétration se joignait la ferme volonté d’observer avec une extrême attention tous les incidens de cette soirée ; aussi, s’apercevant bientôt de l’envie que lui attirait la préférence qu’Olivier montrait pour elle, la reconnaissance de la jeune fille s’en augmenta. Elle n’en doutait pas : Olivier, par bonté de cœur, avait voulu la venger du pénible… et presque humiliant délaissement dont elle avait souffert.

Ce sentiment de gratitude disposa mademoiselle de Beaumesnil à se montrer envers Olivier un peu moins réservée peut-être qu’il ne convenait dans une position aussi délicate que celle où elle se trouvait. Mise d’ailleurs très en confiance avec le jeune soldat, par cela seulement qu’il paraissait amicalement traité par Herminie, Ernestine se sentit donc très décidée à provoquer toutes les conséquences de l’épreuve qu’elle venait subir.

Olivier, en promettant à mademoiselle Herbaut d’engager mademoiselle de Beaumesnil, avait seulement obéi à un mouvement de son généreux naturel, car, voyant mademoiselle de Beaumesnil de loin, il l’avait trouvée presque laide ; il ne la connaissait pas, il ignorait si elle était spirituelle ou sotte : aussi, enchanté de trouver un sujet de conversation dans l’amitié qui semblait lier