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Ton costume de jockey avec ta veste de satin orange et ta toque de velours noir te sied à ravir.

— Ma chère mère… une observation…

— Laisse-moi continuer… mademoiselle de Beaumesnil te verra donc au milieu de cette jeunesse élégante que tu primes de toutes façons, il faut bien l’avouer. Et puis enfin, je ne doute pas que tu ne gagnes la course… Il est indispensable que tu la gagnes, Gerald.

— C’est une opinion, chère mère, que mes éperons tâcheront de faire partager au brave Young-Emperor mais… je…

— Tu montes à cheval à ravir, reprit la duchesse en interrompant de nouveau son fils, — et lorsque Ernestine de Beaumesnil te verra arriver, dépassant tes rivaux au milieu des applaudissemens de cette foule choisie… nul doute qu’avec le caractère et les goûts qu’elle paraît avoir, la première impression que tu lui causeras ne soit excellente… et si, après cette rencontre, tu veux être aussi aimable que tu peux l’être, cet impudent Macreuse paraîtra odieux, affreux, à mademoiselle de Beaumesnil, dans le cas où il aurait l’audace de vouloir lutter avec toi.

— Maintenant, puis-je parler, ma chère mère ?

— Certainement.

— Et bien ! je ne vois aucun inconvénient à être présenté par toi à mademoiselle de Beaumesnil, dans une rencontre au bois de Boulogne… Seulement tu trouveras bon que ce ne soit pas un jour où je serai affublé en jockey ?

— Mais pourquoi donc cela ? ce costume te sied à ravir, au contraire.

— Allons donc, cela sent trop son acteur, — dit Gerald en riant.

— Comment, son acteur ! vous voilà scrupuleux à présent ?

— Voyons, chère mère, veux-tu que je ressuscite les procédés de séduction d’Elleviou, qui tirait, dit-on, un si prodigieux parti… du collant ?

— En vérité, Gerald… — dit la duchesse avec une expression de pudeur révoltée, — vous avez des idées…

— Dam… chère mère… c’est toi qui les as, ces idées… sans t’en douter… Mais sérieusement tu me présenteras à mademoiselle de Beaumesnil où tu voudras, quand tu voudras, comme tu voudras, à pied ou à cheval… Tu vois que tu peux choisir… Seulement je ne veux pas avoir recours aux indiscrétions du costume de jockey… Je n’ai pas besoin de ça, — ajouta Gerald avec une affectation de fatuité comique, — je saurai éblouir, fasciner mademoiselle de Beaumesnil par une foule de qualités morales… vénérables et conjugales.

— En vérité Gerald, vous êtes désolant… vous ne pouvez même traiter sérieusement les choses les plus importantes.

— Qu’est-ce que cela fait… pourvu que les choses s’accomplissent ?

L’entretien de la duchesse et de son fils fut une seconde fois interrompu par le valet de chambre de madame de Senneterre, qui entra après avoir frappé.

— M. le baron de Ravil voudrait parler à monsieur le duc pour une affaire très pressée, — dit le domestique ; il attend monsieur le duc chez lui.

— C’est bien, — dit Gerald assez étonné de cette visite.

Le valet de chambre se retira.

— Quelle affaire peux-tu avoir avec M. de Ravil ? — dit la duchesse à son fils, — je n’aime pas cet homme… On le reçoit partout, et je dois avouer qu’autant qu’une autre je donne réellement, sans savoir pourquoi, le mauvais exemple.

— C’est tout simple, son père était un très galant homme, parfaitement apparenté ; il a mis son fils dans le monde ; une fois le pli pris, on a continué d’accepter de Ravil ; d’ailleurs il me déplaît fort. Je ne l’ai pas revu depuis le jour de ce drôle de duel du marquis et de M. de Mornand. Je ne sais ce que ce de Ravil peut me vouloir… et, à propos de ce cynique, on m’a cité hier un mot de lui qui le peint à ravir… Un pauvre garçon très peu riche lui avait obligeamment ouvert sa bourse ; voici comment de Ravil a reconnu cette obligeance : « Où diable, a-t-il dit, ce niais-là a-t-il filouté les deux cents louis qu’il m’a prêtés ? »

— C’est odieux ! — s’écria la duchesse.

— Je vais donc me débarrasser de cet homme, — reprit ; Gerald.

— D’ailleurs quelquefois il n’est pas mauvais à entendre ; cette langue de vipère sait tout, est au fait de tout. Attends-moi, chère mère, dans un instant je reviens peut-être enthousiasmé de ce cynique personnage… Tu es bien revenue tout-à-l’heure exaspérée contre le Macreuse.

— Gerald, vous n’êtes pas généreux.

— Avoue, du moins, que, ce matin, chère mère, ni toi ni moi n’avons pas la chance… pour les bonnes connaissances…

Et M. de Senneterre alla rejoindre de Ravil qui l’attendait.


XVIII.


Gerald trouva M. de Ravil chez lui, et l’accueillit avec une politesse glaciale qui ne déconcerta nullement l’impudent personnage.

— À quoi dois-je attribuer, monsieur, l’honneur de votre visite ? — lui dit sèchement Gerald, en restant debout et sans engager de Ravil à s’asseoir.

Ce dernier reprit, très indifférent à cette froide réception :

— Monsieur le duc, je viens vous proposer une excellente affaire.

— Je ne fais pas d’affaires… monsieur.

— C’est selon !

— Comment cela ?

— Voulez-vous vous marier, monsieur le duc ?

— Monsieur… — dit Gerald avec hauteur, — cette question…

— Permettez, monsieur le duc… je viens ici dans votre intérêt… et nécessairement aussi… dans le mien… Veuillez donc m’écouter, que risquez-vous ? je vous demande dix minutes…

— Je vous écoute, monsieur, dit Gerald, dont la curiosité était d’ailleurs assez excitée par cette question de de Ravil : — Voulez-vous vous marier ? — Question d’une singulière coïncidence, si l’on songe au dernier entretien de Gerald et de sa mère.

— Je reprends donc, monsieur le duc. Voulez-vous vous marier ? Il me faut une réponse avant de poursuivre cet entretien.

— Mais, monsieur… je…

— Pardon, j’oubliais d’accentuer suffisamment ma phrase… Donc : Voulez-vous faire un mariage fabuleusement riche, monsieur le duc ?

— Monsieur de Ravil a quelqu’un à marier ?

— Probablement.

— Mais vous êtes célibataire, homme du monde et d’esprit… mon cher monsieur… Pourquoi ne vous mariez-vous pas vous-même ?

— Monsieur… je n’ai pas de fortune, mon nom est assez insignifiant… je suis, dit-on, quelque peu véreux, de plus, laid, et d’un commerce désagréable et hargneux ; en un mot, je n’ai aucune chance pour arriver à un tel mariage… J’ai donc pensé à vous… monsieur le duc.

— Je vous sais gré de cette générosité, mon cher monsieur ; mais, avant d’aller plus loin permettez-moi une question assez délicate… Je ne voudrais pas, vous comprenez, blesser votre susceptibilité…

— J’en ai peu…

— Je m’en doutais. Eh bien ! à quel prix mettez-vous votre généreux intérêt ?