Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! je me meurs… — murmura madame de Beaumesnil en levant les yeux au ciel.

Et, dans un dernier effort, elle balbutia ces mots :

— N’oubliez pas… le serment… ma fille… l’orpheline…

Au bout de quelques instans, la comtesse mourut.

M. de Maillefort, en proie à un profond et amer chagrin, ne douta plus que l’orpheline dont il ignorait le nom, et qu’il ne savait où chercher… ne fût la fille naturelle de la comtesse.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Le convoi de madame de Beaumesnil fut splendide.

M. le baron  de La Rochaiguë, le plus proche parent de la famille, conduisait le deuil.

M. de Maillefort, convié par billet de faire part, ainsi que les autres personnes de la société de madame de Beaumesnil, s’était joint au funèbre cortége.

Dans un coin obscur de l’église, agenouillée et comme écrasée sur la dalle par le poids de son désespoir, une jeune fille, inaperçue de tous, priait en étouffant ses sanglots.

C’était Herminie.


XII.


Quelques jours après les funérailles de madame de Beaumesnil, M. de Maillefort, sortant du douloureux accablement où l’avait plongé la mort de la comtesse, et songeant à l’exécution des dernières volontés de cette malheureuse femme au sujet de l’orpheline, sentit toute la difficulté de la mission dont il s’était chargé.

Comment, en effet, retrouver cette jeune fille que madame de Beaumesnil lui avait si instamment recommandée ?

À qui s’adresser pour recueillir des renseignemens ou des indications capables de le mettre sur la voie ?

Et comment surtout prendre des informations si délicates sans compromettre la mémoire de madame de Beaumesnil et le secret dont elle avait voulu entourer l’accomplissement de sa volonté suprême, au sujet de cette orpheline inconnue, sa fille naturelle ? car M. de Maillefort ne pouvait plus en douter.

En rassemblant ses souvenirs, le bossu se rappela que la comtesse, le jour de sa mort, lui avait envoyé une femme de chambre de confiance, afin de l’inviter à se rendre au plus tôt à l’hôtel de Beaumesnil.

« Cette femme est depuis très longtemps au service de madame de Beaumesnil, — pensa le marquis ; elle pourra peut-être m’apprendre quelque chose. »

Le valet de chambre de M. de Maillefort, homme sûr et dévoué, fut chargé d’aller trouver madame Dupont, et l’amena chez le marquis.

— Je sais, ma chère madame Dupont, — lui dit-il, — combien vous étiez attachée à votre maîtresse… — Ah ! monsieur le marquis… madame la comtesse était si bonne !… — répondit madame Dupont en fondant en larmes, — comment ne lui aurait-on pas été dévoué à la vie, à la mort !

— C’est parce que je connais votre dévoûment, et le respect que vous avez pour la mémoire de cette excellente maîtresse, que je vous ai priée de venir chez moi, ma chère madame Dupont… il s’agit d’une chose fort délicate.

— Je vous écoute, monsieur le marquis.

— La preuve de confiance que m’a donnée madame de Beaumesnil, en me mandant auprès d’elle le jour de sa mort, doit vous persuader, à l’avance, que les questions que je pourrai vous faire… sont d’un intérêt presque sacré — aussi je compte sur votre franchise et sur votre discrétion.

— Oh ! vous pouvez y compter, monsieur le marquis.

— Je le sais… Maintenant, voici ce dont il s’agit… Madame de Beaumesnil avait été depuis longtemps, je crois, chargée, par une personne de ses amis, de prendre soin d’une jeune orpheline qui, par la mort de sa protectrice, se trouve à cette heure, peut-être, sans aucun appui… J’ignore le nom, la demeure de cette jeune fille… et il me serait urgent de la retrouver. Ne pourriez-vous, à ce sujet, me donner quelques renseignemens ?

— Une jeune fille orpheline ? — reprit madame Dupont en rassemblant ses souvenirs.

— Oui…

— Pendant dix ans que je suis restée au service de madame la comtesse, — reprit la femme de chambre après un nouveau silence, — je n’ai vu aucune jeune fille venir chez madame… comme particulièrement protégée par elle.

— Vous en êtes bien sûre ?

— Oh ! bien sûre… monsieur le marquis.

— Et madame de Beaumesnil ne vous a jamais chargée de quelque commission qui pouvait avoir rapport à la jeune fille dont je vous parle.

— Jamais, monsieur le marquis… Souvent on s’adressait à madame la comtesse pour des secours… car elle donnait beaucoup… mais je n’ai pas remarqué qu’elle donnât de préférence ou s’intéressât davantage à une personne qu’à une autre… et je crois que si madame avait eu quelque commission de confiance elle ne se serait pas adressée à d’autres qu’à moi.

— C’est ce que j’avais pensé… et c’est pour cela que j’espérais me renseigner auprès de vous voyons… cherchez… vous ne vous souvenez de rien qui puisse vous rappeler une jeune fille que madame de Beaumesnil protégeait particulièrement, et depuis longtemps ?

— Je ne me rappelle rien de cela, — reprit madame Dupont après de nouvelles réflexions ; — rien absolument, — ajouta-t-elle.

Le souvenir d’Herminie lui était, il est vrai, un instant venu à l’esprit ; mais la femme de chambre ne s’arrêta pas à cette pensée.

En effet, rien dans la conduite apparente de la comtesse envers Herminie, qu’elle avait reçue pour la première fois quelques jours avant sa mort, ne pouvait mettre madame Dupont sur la voie de cette protection spéciale, et depuis longtemps accordée, à la jeune fille dont parlait le marquis.

— Allons, — dit celui-ci avec un soupir, — il faudra tâcher de me renseigner autrement.

— Pourtant, attendez donc… Monsieur le marquis ; — reprit madame Dupont, — cela ne paraît avoir aucun rapport avec la jeune fille dont vous parlez… mais enfin… autant vous le dire…

— Voyons, qu’est-ce ?

— La veille de sa mort, madame la comtesse m’a fait venir et m’a dit : « Vous allez prendre un fiacre et vous irez porter cette lettre chez une femme qui demeure aux Batignolles, sans lui dire de quelle part vous venez ; vous la ramènerez avec vous… et vous l’introduirez chez moi dès son arrivée… »

— Et le nom de cette femme ?

— Oh ! un nom singulier, monsieur le marquis, je ne l’ai pas oublié… Elle se nomme madame Barbançon.

— Et vous l’avez vue souvent chez madame de Beaumesnil ?

— Seulement cette fois-là, monsieur le marquis.

— Et cette femme… vous l’avez amenée chez madame de Beaumesnil ?

— Non pas moi, monsieur le marquis.

— Comment cela ?

— Après m’avoir donné le premier ordre dont j’ai parlé à monsieur le marquis, madame s’est ravisée et m’a dit, je me le rappelle bien : « Tout bien considéré, madame Dupont, vous n’irez pas chercher cette femme en fiacre… cela aurait l’air d’un mystère… Faites atteler ma voiture, donnez la lettre à un valet de pied, et qu’il la porte à cette personne en