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— J’ai trop présumé de ma vaillance… il faut que j’accepte l’offre que vous avez bien voulu me faire, mademoiselle.

— Il y a si longtemps que madame la comtesse est alitée… qu’elle ne doit pas s’étonner d’un peu de faiblesse, — reprit Herminie, qui sentait le besoin de se rassurer elle-même et de rassurer madame de Beaumesnil.

— Vous avez raison, mademoiselle, mais c’était une folie à moi… que de vouloir écrire… Je vais donc vous dicter, si vous le permettez.

Et comme Herminie, par discrétion, conservait son chapeau, la comtesse, à qui ce chapeau cachait une partie du visage de sa fille, dit avec un léger embarras :

— Si vous vouliez ôter votre chapeau, mademoiselle, vous seriez, je crois, plus à votre aise pour écrire…

Herminie ôta son chapeau, et la comtesse, qui la dévorait des yeux, put admirer à son aise, dans son orgueil maternel, le charmant visage de sa fille encadré de longues boucles de cheveux blonds.

— Je suis à vos ordres, madame la comtesse, — dit alors Herminie en s’asseyant devant une table.

— Veuillez donc bien écrire ceci, — répondit madame de Beaumesnil, qui dicta les lignes suivantes :

« Madame de Beaumesnil aurait la plus vive obligation à monsieur le marquis de Maillefort s’il pouvait se donner la peine de passer chez elle… le plus tôt possible… fût-ce même à une heure assez avancée de la soirée.

« Madame de Beaumesnil se trouvant très souffrante, est obligée d’avoir recours à une main étrangère pour écrire à monsieur de Maillefort, à qui elle réitère l’assurance de ses sentiments les plus affectueux.

À mesure que madame de Beaumesnil avait dicté ce billet, une de ces craintes, à la fois puériles et poignantes, qu’une mère seule peut concevoir, lui serrait le cœur.

Délicieusement frappée de la parfaite distinction de langage et de manières qu’elle remarquait dans sa fille, reconnaissant en elle une artiste du premier ordre, la comtesse se demandait, avec la craintive et jalouse inquiétude d’une mère, si l’éducation d’Herminie était complète, si cette éducation n’avait pas été en quelques parties négligées au profit du grand talent musical de la jeune fille ?

Que dire enfin ?… car les plus petites choses deviennent importantes pour l’orgueil maternel. Dans ce moment, et malgré de graves et cruelles préoccupations, madame de Beaumesnil ne pensait qu’à une chose :

Sa fille savait-elle bien l’orthographe ? Sa fille avait-elle une jolie écriture ?

Aussi la comtesse hésita quelques instans avant d’oser prier Herminie de lui apporter la lettre qu’elle venait d’écrire ; ne pouvant cependant résister à cette tentation, elle lui dit :

— Vous avez écrit, mademoiselle ?

— Oui, madame la comtesse.

— Auriez-vous la bonté de me donner cette lettre… afin… que je voie… si… si le nom de M. de Maillefort est écrit comme il convient… car j’ai oublié de vous en dire l’orthographe…

Ajouta la comtesse, ne trouvant pas de meilleur prétexte à sa curiosité.

Herminie remit la lettre entre les mains de la comtesse… Quelle fut l’orgueilleuse joie de celle-ci. Non seulement ces quelques lignes étaient parfaitement correctes, mais l’écriture en était charmante.

— À merveille… Je n’ai jamais vu de plus jolie écriture…

Dit vivement madame de Beaumesnil.

Mais, craignant de laisser pénétrer son émotion, elle ajouta plus calme :

— Veuillez, mademoiselle, écrire sur l’adresse de cette lettre :

À Monsieur le marquis de Maillefort, rue des Martyrs, 45.

Madame de Beaumesnil sonna sa femme de chambre de confiance, et de qui seule elle avait l’habitude de recevoir des soins.

Lorsqu’elle parut :

— Madame Dupont, — lui dit la comtesse, — vous allez prendre une voiture, et vous irez porter vous-même cette lettre à son adresse ; dans le cas où M. de Maillefort devrait rentrer bientôt, vous l’attendriez…

— Mais, — dit la femme de chambre étonnée de cet ordre, dont tant de gens de la maison pouvaient être chargés : — si madame la comtesse a, pendant mon absence, besoin de quelque chose… moi seule suis au service de madame… et…

— Occupez-vous d’abord de cette commission, — répondit madame de Beaumesnil, — mademoiselle… voudra bien être assez bonne pour me donner ses soins, si j’en ai besoin.

Herminie s’inclina.

Pendant que la comtesse expliquait ses derniers ordres à sa femme de chambre, Herminie, ne craignant plus d’être surprise, attachait sur madame de Beaumesnil des regards remplis de tendresse et d’inquiétude, se disant avec une résignation navrante :

« — Je n’ose la regarder qu’à la dérobée, et pourtant, c’est ma mère !… Ah ! qu’elle ignore toujours que je connais le triste secret de ma naissance ! »


IX.


Il est impossible de rendre l’expression de bonheur triomphant que trahirent les traits de madame de Beaumesnil, lorsqu’elle vit sa femme de chambre s’éloigner.

La pauvre mère se savait sûre d’être au moins seule pendant une heure avec sa fille.

Grâce à cet espoir, une faible rougeur colora le pâle visage de madame de Beaumesnil ; ses yeux, naguère éteints, brillèrent d’une ardeur fébrile ; une surexcitation factice, malheureusement passagère, succédait à la prostration de ses forces, car la comtesse faisait un effort presque surhumain pour sortir de son état de faiblesse ordinaire, afin de profiter de cette occasion, une des dernières peut-être, de s’entretenir avec sa fille.

Lorsque sa femme de chambre fut sortie, madame de Beaumesnil dit à Herminie qui, baissant ses yeux pleins de larmes, n’osait pas la regarder :

— Mademoiselle, auriez-vous l’obligeance de me donner, dans une tasse, cinq ou six cuillerées de cette potion réconfortante, qui est là… sur la cheminée…

— Mais, madame, dit Herminie avec inquiétude, — vous oubliez sans doute que le médecin a ordonné que vous ne prissiez cette potion que par très petites cuillerées… Hier, du moins, il m’a semblé l’entendre faire cette recommandation.

— Oui… mais je me sens beaucoup mieux, et cette potion me fera, je crois, un bien infini… me donnera de nouvelles forces…

— Madame la comtesse se sent mieux ? — dit Herminie, hésitant entre le désir de croire madame de Beaumesnil et la crainte de la voir s’abuser sur la gravité de sa situation.

— Vous doutez peut-être… de ce mieux… que je ressens ?

— Madame la comtesse…

— Cette triste cérémonie… de tantôt vous a effrayée, n’est-ce pas, mademoiselle ? Mais rassurez-vous, elle était toute de précaution, et la conscience d’avoir rempli mes devoirs religieux… et d’être prête à paraître devant Dieu… me donne une si grande sérénité d’âme, que je lui attribue… le mieux que j’éprouve… Et de plus, je suis sûre