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truite en fer avec une hardiesse, une légèreté admirables, était plantée des plus beaux végétaux exotiques.

Ici, c’étaient des bananiers de toute taille et de toutes variétés, depuis les musa nains, chargés de fruits, jusqu’à des paradisiaca qui s’élevaient à trente pieds, et dont les feuilles avaient plus de trois mètres de longueur ; plus loin, les verts éventails des dattiers et des lataniers se mêlaient aux tiges élancées des cannes à sucre et des bambous ; tandis que, dans l’eau limpide d’un bassin de marbre, situé au milieu de la serre, se réfléchissaient les plus belles plantes aquatiques : arums de l’Inde aux feuilles énormes et rondes comme des boucliers, cypirus aux ondoyans panaches, lotus du Nil aux grandes fleurs bleu d’azur dont le parfum est si enivrant.

C’était un merveilleux mélange de végétation de toutes formes, de toutes grandeurs, de toutes nuances, depuis le vert pâle et marbré des bégonias jusqu’aux rayures tour à tour tendres et foncées des marantha, feuilles admirables, velours vert en dessus, satin pourpré en dessous ; ici, les grands ficus noirâtres et charnus contrastaient avec les fougères du Cap, au feuillage si délicat, aux rameaux si déliés, que l’on dirait des brins de soie violette supportant une dentelle verte ; là le strêlizia, dont la fleur ressemble à un oiseau aux ailes d’orange et à l’aigrette bleu-lapis, luttait de richesse et d’éclat avec l’astrapea, à l’énorme pompon cerise piqueté de jaune d’or ; enfin, dans quelques endroits, les immenses feuilles des bananiers, formant une voûte de verdure naturelle aux souples et transparens arceaux, cachaient si complètement le vitrage de la rotonde que l’on aurait pu se croire transporté sur la terre tropicale.

À l’aspect de cette merveilleuse végétation, Marie Bastien et Frédérik échangeaient à chaque instant des exclamations de surprise et d’admiration.

— Dis, Frédérik, quel bonheur de voir, de toucher enfin, ces bananiers, ces dattiers, dont nous avons lu tant de fois la description dans les livres des voyageurs !… — s’écriait Marie.

— Mère… mère… — disait, à son tour, Frédérik, en montrant à madame Bastien un arbuste aux feuilles dentelées et d’un vert d’émeraude, — voici le caféier… et là, cette plante aux feuilles si épaisses, qui grimpe le long de cette colonne… c’est la vanille.

— Frédérik, … vois donc ces immenses feuilles de latanier… comme l’on comprend bien que, dans l’Inde, cinq à six feuilles suffisent pour couvrir une cabane !

— Mère, … regarde donc, voilà ces jolies grenadilles dont parle le capitaine Cook… Je les ai tout de suite reconnues à leurs fleurs : on dirait de petites corbeilles de porcelaine à jour, … et nous qui accusions ce pauvre capitaine de s’amuser à inventer des fleurs impossibles !…

— Mon Dieu ! monsieur, — dit Marie Bastien au chef des cultures, — monsieur de Pont-Brillant, lorsqu’il est ici, ne doit pas quitter ce jardin enchanté.

— Monsieur le marquis est comme feu monsieur le marquis son père, — répondit le jardinier en soupirant, — il n’est pas amateur ; il préfère le chenil et l’écurie…

Madame Bastien et son fils se regardèrent stupéfaits.

— Mais alors, monsieur, — reprit ingénuement la jeune femme ? — pourquoi donc avoir ces magnifiques serres ?

— Parce qu’il n’y a pas de véritable château sans serres chaudes, madame, — répondit fièrement monsieur le chef des cultures, — c’est un luxe qu’un véritable grand seigneur se doit à soi-même.

— Ce que c’est pourtant que le respect humain ! — dit tout bas Marie à son fils, avec un sourire doucement railleur. — Tu vois, Frédérik, la dignité de soi-même vous oblige à posséder ces merveilles. — Puis elle ajouta à l’oreille de son fils : — Dis donc, mon ange, dans l’hiver, quand les jours sont si courts… et qu’il neige, quelles heures délicieuses l’on passerait ici à narguer les frimas !…

Il fallut que le docteur vînt arracher la jeune mère et son fils à leur admiration inassouvie.

— Ma chère madame Bastien, nous en aurions pour deux jours seulement dans cette serre, si vous voulez tout voir en détail.

— C’est vrai, mon bon docteur… c’est vrai… — répondit madame Bastien. — Allons… — ajouta-t-elle en souriant et soupirant de regret, — quittons les tropiques… et allons dans une autre partie du monde sans doute… car, ainsi que vous le disiez, monsieur Dufour, c’est ici le pays des merveilles…

— Vous croyez plaisanter ? eh bien, si vous êtes sage, — dit en souriant le docteur, — je vous conduirai tout à l’heure en Chine…

— En Chine ?… mon bon docteur, est-ce possible ? — Certainement, et s’il nous reste un quart-d’heure, ma foi ! nous ferons ensuite une petite pointe… jusqu’en Suisse…

— Aussi en Suisse ? — s’écria Frédérik.

— En pleine Suisse… Mais, avant, nous visiterons le château, et là ce sera bien autre chose !

— Quoi donc encore, docteur ?

— Oh ! là ce ne seront plus des pays divers que nous parcourrons, mais les âges… depuis l’ère gothique jusqu’au siècle de Louis xv… et le tout… en une heure au plus.

— Je vous crois, docteur ; je suis décidée à ne plus m’étonner de rien, — répondit madame Bastien, — car nous sommes ici dans le pays des fées ? Viens-tu, Frédérik ?

Et les visiteurs suivirent monsieur le chef des cultures qui, avec une certaine suffisance narquoise, souriait à part soi de l’étonnement bourgeois des amis de monsieur Dufour.

Un moment distrait de ses premiers sentimens par l’aspect saisissant de la serre chaude, Frédérik suivit sa mère d’un pas moins allègre que de coutume : il éprouvait un serrement de cœur singulier, en pensant à la dédaigneuse indifférence du jeune marquis de Pont-Brillant pour ces merveilles qui eussent fait la joie, les délices, l’attachante occupation de tant de personnes dignes d’apprécier et d’aimer ces trésors de la nature réunis à tant de frais.


IV.


Monsieur le chef des cultures, en quittant la rotonde immense formant la serre chaude principale, introduisit les trois visiteurs dans d’autres serres qui s’étendaient latéralement ; l’une d’elles, destinée aux ananas et renfermant toutes les espèces connues de ces fruits parfumés, aboutissait à une serre spéciale aux orchidées ; il fallut encore que le docteur arrachât Marie Bastien et son fils à la surprise, à l’admiration où ils restaient plongés, malgré la température humide et étouffante de cette serre, à la vue de plusieurs orchis fleuris, fleurs bizarres, presque fantastiques, tantôt pareilles à des papillons diaprés de vives couleurs, tantôt à des insectes ailés d’une apparence fabuleuse.

Là se terminait le domaine de monsieur Dutilleul ; cependant il voulut bien guider nos curieux sur les terres de son collègue des cultures d’orangerie, de serre tempérée et de pleine terre.

— Je vous avais promis la Chine, — dit le docteur à ses amis, — nous voici en Chine.

En effet, au sortir de la serre aux orchidées l’on entrait dans une galerie chinoise à piliers à jour, peints de rouge et de vert éclatant, et pavée de carreaux de porcelaine, pareils à ceux dont était revêtu un petit mur à hauteur d’appui servant de base aux colonnes ; entre celles-ci étaient espacés de grands vases du Japon, bleu, blanc et or, contenant des camélias, des roses pivoines, des azalées, des citronniers, et autres arbustes de la Chine.

Cette galerie, vitrée pendant la mauvaise saison, condui-