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roles du baron, — j’ai eu tort, je l’avoue, de vous supposer capable d’une mystification… et cependant…

— Encore une fois, veuillez vous souvenir, monsieur, — dit le baron en interrompant Olivier, — que je vous ai prévenu que j’avais à vous apprendre des choses fort extraordinaires. Je poursuis : Mademoiselle de Beaumesnil a seize ans… elle est la plus riche héritière de France. Donc, — ajouta le baron en regardant Olivier d’un air significatif et appuyant sur ces derniers mots ; — donc, elle n’a pas à s’inquiéter de la fortune de celui qu’elle choisira pour époux… Elle veut… avant tout, se marier à un homme qui lui plaise, et qui lui offre des garanties de bonheur pour l’avenir. Quant au nom, quant à la position sociale de celui qu’elle choisira… pourvu que ce nom et que cette position soient honorables et honorés, mademoiselle de Beaumesnil n’en demande pas davantage. Me comprenez-vous, enfin, monsieur ?

— Monsieur… je vous ai prêté la plus sérieuse attention… Je comprends parfaitement que mademoiselle de Beaumesnil veuille se marier selon son goût, sans préoccupation de fortune ou de rang. Elle a, je crois, parfaitement raison ; mais pourquoi me dire tout ceci… à moi qui, de ma vie, n’ai vu mademoiselle de Beaumesnil, et qui ne la verrai sans doute jamais ?

— Je vous dis ceci à vous, monsieur Olivier Raimond, parce que mademoiselle de Beaumesnil est persuadée que vous réunissez toutes les qualités qu’elle désirait rencontrer dans son mari ; aussi, après avoir pris les plus minutieuses informations sur vous, monsieur, et je dois vous avouer qu’elles sont excellentes, j’ai, comme tuteur de mademoiselle de Beaumesnil, j’ai, dis-je, pouvoir et mission de vous proposer sa main.

Le baron aurait pu parler plus longtemps encore qu’Olivier ne l’eût pas interrompu : stupéfait de ce qu’il entendait, il ne pouvait croire à une mystification de la part de M. de La Rochaiguë qui, malgré ses ridicules oratoires, était un homme d’un extérieur grave, de manières parfaites, et qui s’exprimait en fort bons termes ; d’un autre côté, comment se persuader, fût-on doué du plus robuste amour-propre, et ce n’était pas le défaut d’Olivier, comment se persuader que la plus riche héritière de France eût pu s’éprendre si soudainement ? Aussi Olivier reprit-il :

— Vous excuserez mon silence et ma stupeur, monsieur, car vous m’aviez vous-même prévenu que vous aviez à m’apprendre la chose du monde la plus extraordinaire…

— Remettez-vous, monsieur… je conçois le trouble où vous plonge cette proposition… je dois ajouter… que mademoiselle de Beaumesnil sait parfaitement que vous ne pouvez accepter son offre avant de l’avoir vue et appréciée… J’aurais donc aujourd’hui même, si vous le désiriez, l’honneur de vous présenter à ma pupille ; mon seul désir… est que vous trouviez tous deux dans vos convenances mutuelles la garantie, l’espoir, la certitude de votre bonheur à venir.

Après cette péroraison, le baron se dit :

« Ouf ! c’est fini… je saurai tout à l’heure, par ce diable de marquis, le mot de l’énigme, qui me paraît de plus en plus obscure. »

Durant cette première partie de l’entretien d’Olivier et du baron, mademoiselle de Beaumesnil, Herminie et le bossu, avaient silencieusement écouté.

Herminie comprenait alors le double but de l’épreuve à laquelle M. de Maillefort avait cru devoir soumettre Olivier ; — mais Ernestine, malgré son aveugle confiance dans l’élévation des sentimens du jeune officier, éprouvait une angoisse inexprimable… en attendant la réponse qu’il allait faire à l’étourdissante proposition du baron.

Hélas ! la tentation était si puissante !… Combien peu de gens seraient capables d’y résister !… Combien en est-il qui, oubliant une promesse faite dans un premier élan de générosité à une pauvre petite fille sans nom, sans fortune, saisiraient avidement cette occasion de posséder des richesses immenses !

— Oh ! mon Dieu ! malgré moi, j’ai peur… — disait tout bas Ernestine à Herminie et au bossu. — Le renoncement que nous attendons de M. Olivier est peut-être au-dessus des forces humaines. Hélas ! pourquoi ai-je consenti à cette épreuve ?

— Courage, mon enfant ! — dit le marquis, — ne songez qu’au bonheur, qu’à l’admiration que vous ressentirez si Olivier ne faillit pas à ce que nous devons attendre de lui… Mais, silence ! écoutez : l’entretien continue…

Par un mouvement d’angoisse involontaire, Ernestine se jeta dans les bras d’Herminie, et ce fut ainsi que toutes deux, palpitantes de crainte et d’espoir, attendirent la réponse d’Olivier.

Celui-ci ne pouvait plus douter de ce qu’il y avait de sérieux dans l’offre incroyable qu’on lui faisait ; mais, ne pouvant absolument se résoudre à l’attribuer à ses mérites, il vit dans cette proposition l’un de ces caprices romanesques, assez familiers, dit-on, aux personnes que leur fortune exorbitante met dans une position exceptionnelle, et qui semblent vouloir se jouer du sort à force d’excentricités.

— Monsieur, — répondit Olivier au baron d’une voix ferme et grave, après un assez long silence, — si incroyable, je dirai presque si impossible, que me semble la démarche dont vous êtes chargé… je vous donne ma parole d’homme d’honneur que, sans pouvoir me l’expliquer, je crois à sa sincérité.

— Croyez-y, monsieur… c’est l’important, c’est tout ce que je vous demande.

— J’y crois donc, monsieur… et je ne cherche pas à pénétrer les motifs incompréhensibles qui ont pu un instant engager mademoiselle de Beaumesnil à songer à moi.

— Pardon… ces motifs… monsieur… je vous les ai fait connaître…

— Je le sais, monsieur ;… mais, sans être d’une modestie ridicule, ces motifs ne me paraissent pas suffisans ; je n’ai pas d’ailleurs le droit de les apprécier, car… il m’est impossible, monsieur… non pas d’accepter la main de mademoiselle de Beaumesnil… un acte si grave est subordonné à mille circonstances imprévues, mais je…

— Je vous donne à mon tour ma parole d’homme d’honneur, monsieur, — dit le baron d’un air solennel dont Olivier fut frappé, — qu’il dépend de vous… entendez-moi bien… de vous… absolument de vous… d’épouser mademoiselle de Beaumesnil, et qu’avant une heure, si vous le désirez, je vous présenterai à elle… Vous ne pourrez alors conserver le moindre doute… sur l’offre que je vous fais.

— Je vous crois, monsieur… je vous le répète ; je voulais seulement vous dire qu’il m’est impossible de donner pour ma part aucune suite aux propositions que vous voulez bien me faire.

À son tour le baron resta stupéfait.

— Comment, monsieur !… — s’écria-t-il, — vous refusez… Mais non… non… je comprends mal, sans doute, votre réponse : il est impossible que vous soyez assez aveugle pour ne pas voir les avantages inouïs qu’un pareil mariage…

— Je vais donc être plus précis, monsieur. Je refuse positivement ce mariage, tout en reconnaissant ce qu’il y a de trop flatteur pour moi dans les bienveillantes intentions de mademoiselle de Beaumesnil…

— Refuser… la plus riche héritière de France, — s’écria le baron abasourdi ; — accueillir avec ce dédain la démarche inouïe que mademoiselle de Beaumesnil…

— Permettez, monsieur, — dit vivement Olivier en interrompant le baron, — je vous ai dit tout à l’heure… combien je me sentais honoré de votre proposition. Aussi… je serais désolé que vous pussiez interpréter mon refus d’une manière défavorable pour mademoiselle de Beaumesnil, que je n’ai pas l’honneur de connaître !

— Mais, encore une fois, monsieur, je vous offre de vous la faire connaître.

— Cela est inutile, monsieur… Je ne doute pas du mérite de mademoiselle de Beaumesnil ;… mais, puisqu’il faut