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Et Olivier, sortant, laissa les deux jeunes filles ensemble.

Herminie ouvrit alors la lettre de M. de Maillefort : elle contenait ces mots :


« C’est toujours demain samedi, ma chère enfant, que je vous conduis chez mademoiselle de Beaumesnil ; seulement si vous le voulez bien, je viendrai vous prendre vers trois heures de l’après-dîner, au lieu de venir à midi, ainsi que nous en étions convenus… Un mien cousin-germain, le chef de ma famille, le prince-duc de Haut-Martel (excusez du peu !), vient de mourir en Hongrie, ce qui m’est fort égal, quoique j’hérite de ce parent.

» Je reçois cette nouvelle par l’ambassade d’Autriche… où il faut que je me rende demain matin pour quelques formalités indispensables ; ce qui, à mon grand regret, m’empêche d’aller vous prendre aussitôt que je vous l’avais promis.

« À demain donc, ma chère enfant, vous savez mes sentimens pour vous.

 » MAILLEFORT. »


— Ernestine… vous me permettez de répondre un mot à cette lettre, n’est-ce pas ? dit Herminie en s’asseyant devant sa table.

Pendant que la duchesse écrivait à M. de Maillefort, mademoiselle de Beaumesnil, rêveuse, réfléchissait avec une satisfaction croissante à l’engagement qu’elle venait de prendre envers Olivier.

La duchesse répondit à M. de Maillefort qu’elle l’attendrait le lendemain à trois heures ainsi qu’il le désirait ; puis sonnant madame Moufflon, elle la pria de remettre sa réponse à la personne qui avait apporté la lettre.

La portière sortie, Herminie revint auprès de mademoiselle de Beaumesnil et, se trouvant enfin seule avec elle, l’embrassa tendrement en lui disant :

— Ernestine… vous êtes bien heureuse, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui, bien heureuse, — répondit mademoiselle de Beaumesnil, — car c’est ici… chez vous, Herminie, que ce bonheur m’arrive… Quelle générosité de la part de {{M.|Olivier}… comme il faut qu’il m’estime et qu’il m’aime réellement… n’est-ce pas ? pour vouloir m’épouser… lui qui se trouve dans une position si au-dessus de la mienne ! Et cela, voyez-vous, Herminie… suffirait à me le faire adorer… Quelle confiance ne dois-je pas avoir dans ses promesses ! Avec quelle sécurité je puis maintenant envisager l’avenir… quelles que soient les circonstances où je me trouve un jour !

— Croyez-moi, Ernestine… il n’est pas de félicité plus assurée que celle qui vous attend… votre vie sera douce et fortunée… Aimer… être aimée noblement, est-il un sort plus digne d’envie ?

Et, par un cruel retour sur elle-même, la pauvre duchesse ne put s’empêcher de fondre en larmes.

Mademoiselle de Beaumesnil comprit tout et dit tristement :

— Il est donc vrai… il y a donc toujours une sorte d’égoïsme dans le bonheur !… Ah ! Herminie… pardon… pardon… combien vous avez dû souffrir ! Chaque mot de notre entretien avec M. Olivier devait vous porter un coup douloureux… Vous nous entendiez parler d’amour partagé, d’espoir… d’avenir… et, à toutes ces joies… vous pensiez qu’il vous faudra renoncer peut-être… Ah ! notre insouciance a dû vous faire bien du mal, Herminie !

— Non, non, Ernestine, — dit la pauvre créature en essuyant ses pleurs, — croyez, au contraire, que votre contentement m’a été salutaire et consolant… N’ai-je pas, pendant toute cette matinée… oublié mes chagrins, hélas ! désespérés !

— Désespérés !… mais pourquoi cela ?… M. de Senneterre est digne de vous… — s’écria inconsidérément Ernestine en se rappelant sa conversation de la veille avec Gerald, — il vous aime… comme vous méritez d’être aimée… je le sais…

— Vous le savez… Ernestine ?… et comment cela ? …

— Je veux dire… que… j’en suis sûre, Herminie, — répondit Ernestine avec embarras, — tout ce que vous m’avez raconté de lui me prouve que vous ne pouviez mieux placer votre affection ; les obstacles qui s’opposent à votre mariage sont grands… je le crois, mais ils ne sont pas insurmontables.

— Ils le sont, Ernestine… car je ne vous avais pas confié cela… mais ma propre dignité veut… que je n’épouse M. de Senneterre que si sa mère vient ici… chez moi, me dire qu’elle consent au mariage de son fils… Sans cela je ne voudrais à aucun prix entrer dans cette noble famille…

— Oh ! Herminie, — s’écria Ernestine, — combien j’aime en vous cet orgueil !… Et M. de Senneterre, qu’a-t-il répondu ?

— De nobles et touchantes paroles, — reprit Herminie ; — elles m’ont fait lui pardonner la tromperie dont j’avais été victime… Lorsque M. Olivier lui a annoncé ma résolution, loin d’en paraître surpris ou choqué, Gerald a répondu : » Ce que demande Herminie est juste ; cela importe à sa dignité comme à la mienne… le désespoir est lâche et stérile… C’est à moi d’obliger ma mère à reconnaître la valeur de la femme à qui je suis fier de donner mon nom. »

— Vous avez raison, Herminie, ce sont là de nobles et touchantes paroles.

» — Ma mère… m’aime tendrement, — a ajouté M. de Senneterre… — rien n’est impossible à une passion vraie… Je saurai convaincre ma mère, et l’amener à la démarche qu’Herminie a le droit d’attendre d’elle… À cela, comment parviendrai-je ? je l’ignore… mais j’y parviendrai, parce qu’il s’agit du bonheur d’Herminie et du mien… »

— Et cette courageuse résolution de M. de Senneterre ne vous donne pas tout espoir ? — dit vivement Ernestine.

La duchesse secoua tristement la tête, et répondit :

— La résolution de Gerald est sincère ; mais il s’abuse… Ce que j’ai appris de sa mère me donne, hélas ! la certitude que jamais cette femme hautaine…

— Jamais ! pourquoi dire jamais ? — s’écria Ernestine, en interrompant son amie, — ah ! Herminie, vous ne songez donc pas à ce que peut l’amour chez un homme comme M. de Senneterre Sa mère est fière et hautaine, dites-vous ; tant mieux, une lâche humilité l’eût trouvée impitoyable ; votre légitime orgueil la frappera, l’irritera peut-être, puisqu’elle est fière aussi, mais du moins elle sera forcée de vous estimer, de vous respecter… Ce sera déjà un grand pas… sa tendresse pour son fils fera le reste… car vous ne savez pas jusqu’à quel point elle l’aime… oui… elle l’aime assez aveuglément pour s’être compromise dans de misérables intrigues, afin de lui faire acheter une fortune immense par une action indigne de lui… Pourquoi, lorsqu’il s’agirait, au contraire, d’assurer le bonheur de son fils par une démarche digne et louable, son amour maternel faillirait-il à cette noble tâche ? Croyez-moi, Herminie, il ne faut jamais désespérer du cœur d’une mère.

— En vérité, Ernestine, je ne reviens pas de ma surprise. Vous parlez de M. de Senneterre et de sa famille… comme si vous les connaissiez.

— Eh bien ! s’il faut tout vous dire, — reprit mademoiselle de Beaumesnil, qui ne pouvait résister au désir de calmer les craintes de son amie et de la rassurer par l’espérance, — sachant combien vous étiez affligée, ma chère Herminie, j’ai tant fait… voyez comme je suis intrigante… que j’ai eu, par ma parente, des renseignemens sur M. de Senneterre.

— Et comment ?

— Elle connaît la gouvernante de mademoiselle de Beaumesnil.

— Votre parente ?

— Certainement… et elle a su, ainsi, que madame de Senneterre s’était mêlée à de tristes intrigues dans le but d’assurer le mariage de son fils avec mademoiselle de Beaumesnil, cette riche héritière.

— Gerald devait épouser mademoiselle de Beaumesnil ! — s’écria Herminie.