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— et, comme vous, je suis persuadé que ce Jean de Novelpont, si affolé d’elle, doit être son amant ; mais, cependant, si par hasard elle ne mentait point en se faisant appeler Jeanne-la-Pucelle ? s’il devenait ainsi solennellement constaté qu’elle est encore pure, ne serait-ce point un grand avantage pour elle ? n’en resterait-il pas une présomption favorable à la divinité de sa mission ? Tandis qu’en ne soumettant pas la Jeanne à cette épreuve, le champ reste libre à des suppositions… qu’il nous est facile de rendre extrêmement odieuses, la réalité demeurant inconnue…

— Votre objection est grave, — répondit le sire de La Trémouille à l’évêque ; — cependant, en supposant que cette fille soit chaste, songez donc quelle devra être sa mortelle honte à la seule pensée d’un examen si humiliant pour elle ! Plus elle aura conscience de l’honnêteté de sa vie, jusqu’alors irréprochable, plus cette créature, de si vile condition qu’elle soit, sera navrée, indignée, d’un soupçon outrageant pour son honneur !… En un mot, plus il y aura en elle de pudeur, plus elle se révoltera contre l’impudicité d’une pareille vérification ! elle la repoussera comme une sanglante injure et, la rougeur au front, refusera de paraître devant le concile de matrones !… Ce refus, habilement exploité, tournera contre elle ; l’on dira : « Chaste, elle ne redouterait pas cette épreuve !… »

— Foi de soldat ! l’idée est à la fois ingénieuse et bouffonne ! mais notre paillard sire voudra présider le concile examinateur !

— Cependant, La Trémouille, si la Jeanne se soumet à l’épreuve et en sort triomphante, ce triomphe lui donne un grand avantage sur nous ?

— Ne jouira-t-elle pas du même avantage si on la croit pucelle sur parole ? Or, la convocation du concile de matrones nous offre deux chances : Jeanne se soumet-elle au honteux examen ? elle peut être déclarée ribaude… refuse-t-elle l’épreuve ? ce refus tourne contre elle !…

— Il n’y a rien à répondre à cela ; j’adhère au concile de matrones.