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— Ainsi, nous pouvons compter sur vous ?

— Oui ; car j’entrevois le moyen, soit par une fausse sortie, soit par d’autres manœuvres, de venir à bout de cette diablesse !

— Et maintenant, — reprit le sire de La Trémouille, — ayons bon et ferme espoir, notre trame est bien ourdie, nos filets habilement tendus ; il est impossible que cette effrontée visionnaire échappe, soit à vous, Gaucourt, soit à vous, digne évêque… Quant à moi, je ne veux point rester inactif ; voici mon projet, il vous semblera prêter à rire, cependant il est fort sérieux… Et d’abord, mon saint père en Dieu, n’est-il pas avéré que le démon ne saurait posséder le corps d’une vierge ?

— C’est indubitable selon les formules de l’exorcisme…

— Donc, la Jeanne se prétend pucelle, puisque ses fanatiques imbéciles l’appellent déjà Jeanne-la-Pucelle… Or, de deux choses l’une : ou cette coureuse, indécemment vêtue d’habits d’homme, venue de Lorraine ici, en compagnie diurne et nocturne de ce Jean de Novelpont, dont elle est sans doute la concubine, à en juger par l’intérêt forcené qu’il lui porte ; ou cette coureuse, dis-je, n’est qu’une ribaude, ou bien elle est restée jusqu’ici réellement chaste ; le roi est un damné paillard, je compte éveiller sa curiosité libertine en lui proposant d’assembler un concile de matrones…

— Un concile de matrones ?… pourquoi diable faire ?…

— Je vais vous en instruire, Gaucourt. Ce concile, présidé, je suppose, par la belle-mère du roi, Yolande de Sicile, serait chargé de s’assurer que la Jeanne est réellement vierge… Si elle ne l’est point, il s’élève aussitôt contre elle les plus véhéments soupçons d’imposture et de sorcellerie, puisque les pucelles seules sont à l’abri des maléfices de Satan… Elle n’est plus cette prétendue sainte fille inspirée de Dieu, mais une audacieuse paillarde, digne compagne des filles de bonne volonté qui suivent les gens d’armes ; elle est honteusement fouettée ; puis chassée, sinon brûlée comme sorcière !…

— J’admets qu’elle soit ribaude, — reprit l’évêque de Chartres,