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terre, encore enfant, avait, sous la tutelle du duc de Bedford, hérité de la couronne de France, tandis que le pauvre jeune Charles VII, le vrai roi, abandonné de presque tous les seigneurs, relégué en Touraine, n’espérait pas même soustraire à la domination des Anglais cette province, dernier débris de ses États. Gillon-le-Chanceux, messager de cour, naturellement royaliste et du parti des Armagnacs, professait, en courtisan de bas étage, une sorte d’adoration pour Charles VII, adoration stupide, menteuse ou aveugle ; car ce jeune prince, énervé par de précoces débauches, égoïste, cupide, ingrat, envieux, et particulièrement couard, ne paraissait jamais à la tête des troupes qui lui restaient, se consolait de leurs défaites et de sa honte en buvant frais ou en chantant ses maîtresses. Mais, dans sa ferveur royaliste, Gillon-le-Chanceux, laissant à l’ombre les vices de son maître, ne mettait en lumière que ses malheurs.

— Pauvre jeune roi !… c’est grand’pitié de voir ce qu’il endure ! — disait le messager en terminant son récit. — Sa damnée mère, Isabeau de Bavière, a causé tout le mal !… Ses déportements avec le duc d’Orléans, sa haine contre le duc de Bourgogne, ont amené les terribles guerres civiles des Bourguignons et des Armagnacs. Les Anglais, déjà maîtres de plusieurs de nos provinces depuis la bataille de Poitiers, se sont facilement emparés de presque toute la France, déchirée par les factions ; ils lui imposent un joug affreux, la mettent à sac, à feu et à sang ! Enfin, le duc de Bedford, tuteur d’un roi au berceau, règne à la place de notre gentil dauphin ! Maudite soit Isabeau de Bavière ! cette femme a perdu le royaume… Nous ne sommes plus Français… mais Anglais !

— Merci à Dieu ! — dit Jacques Darc, — du moins nous sommes toujours Français, nous autres, dans notre vallée !… Elle n’a pas connu les désastres dont vous parlez, ami messager. Ainsi donc, Charles VII, notre jeune sire, est un digne prince ?…

— Lui !… juste ciel !… — s’écria Gillon-le-Chanceux, flatteur et menteur comme un valet de cour, — ah ! croyez-moi, cher hôte,