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que cette Jeanne prétend apporter à la France… En ce cas, messeigneurs, c’est fait de l’influence du conseil royal !

— Quoi ! moi, Raoul de Gaucourt, j’aurai servi avec Sancerre ! avec le connétable de Clisson ! qui appréciaient ma valeur comme elle méritait de l’être ! j’aurai vaincu le Turc à Nicopolis, et je devrai subir les ordres d’une vile gardeuse de bétail ! Mort et massacre ! je briserais plutôt mon épée !

— Ce sont là des mots, Raoul de Gaucourt, — dit le sire de La Trémouille pensif ; — les mots sont impuissants contre les faits ! Raisonnons froidement. Notre sire, indolent, mobile et lâche (bénies soient son indolence, sa lâcheté ! elles nous ont donné jusqu’ici le pouvoir souverain) ; notre sire peut donc, en l’état désespéré des choses, vouloir essayer de l’influence, prétendue surnaturelle, de cette vachère… Ne nous abusons point : depuis le jour où, par mon ordre, elle a été reléguée dans la tour du Coudray, à une demi-lieue d’ici, les criailleries de Jean de Novelpont ont ému une partie de la cour, son enthousiasme pour ladite Jeanne, ses récits sur sa beauté, sur sa modestie, sur le génie militaire qu’elle possède…

— Du génie militaire chez une ignoble fille de labour ! Merci de moi ! — s’écria Raoul de Gaucourt, — c’est à devenir fou de male-rage !

— Raoul, ne vous emportez point, — reprit l’évêque de Chartres ; — mon fils en Dieu, Georges de La Trémouille, précise les faits. Il dit vrai… Une partie de la cour, éprise des nouveautés, jalouse de notre pouvoir, lasse de voir une partie de ses domaines au pouvoir des Anglais, a ouvert l’oreille aux récits exaltés de Jean de Novelpont sur cette visionnaire, bon nombre de courtisans ont obsédé le roi ; il veut impérieusement la voir. Il serait, en ce moment, absurde et impolitique de vouloir lutter contre le courant.

— Ainsi, nous devons céder ! — s’écria Raoul de Gaucourt en frappant avec rage sur la table du conseil, — céder devant cette sorcière qui devrait déjà rôtir sur le fagot !