Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Loin de soupçonner Jeanne d’être une invocateresse de démons, maître Tiphaine a été si édifié de sa douceur, de sa modestie, que le lendemain de l’exorcisme il l’a admise à la sainte communion…

— C’est par ma foi bien heureux ! qui mangerait donc le pain des anges, sinon Jeanne ?

— Savez-vous, mes compères, que pendant que le sire de Baudricourt attendait la réponse du roi (et de par Dieu m’est avis que cette réponse s’est fait fort attendre), monseigneur le duc de Lorraine, instruit par le bruit public que Jeanne était la pucelle prophétisée par Merlin, a voulu la voir ?

— Vraiment !… et qu’est-il advenu de cette entrevue ?

— Le sire de Novelpont a conduit Jeanne auprès du seigneur duc… — « Eh bien, ma fille ! — lui a-t-il dit, — toi qui es envoyée de Dieu, conseille-moi donc ? je suis malade… et ce me semble près de ma fin… »

— Tant pis pour lui ! Qui donc ignore que le seigneur duc est souffrant des suites de ses débauches, et que, pour s’y livrer à son aise, il a vilainement renvoyé sa femme !

— Jeanne savait cela, sans doute ; car elle a répondu au duc : « — Monseigneur, rappelez votre duchesse auprès de vous, vivez en honnête homme, Dieu ne vous abandonnera pas[1] Aide-toi… le ciel t’aidera !… »

— Bien répondu, sainte fille !…

— On assure que c’est son mot favori : Aide-toi… le ciel t’aidera !

— Alors, que le ciel et tous ses saints la protègent pendant le long et périlleux voyage qu’elle va entreprendre aujourd’hui !

— Est-ce croyable ?… une pauvre enfant de dix-sept ans à peine ? Quel courage !

— Moi et cinq autres archers de la compagnie du sire de Baudricourt, nous lui avions demandé comme une grâce d’accompagner Jeanne-la-Pucelle, il nous a refusé ; j’en enrage ! Ventre du pape !

  1. Procès de réh., t. II, p. 367.