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— Eh ! messire, ce sont des assiégeants et des assiégés…

— Bon… Mais les assiégés doivent tenter des sorties contre l’ennemi retranché à leurs portes.

— Messire, nous sommes trois dans cette salle ; si l’on nous enfermait ici, et que nous fussions résolus de sortir ou de mourir, ne sortirions-nous pas, quand même dix hommes garderaient la porte ?

— Par quel moyen ?

— En combattant hardiment… Dieu ferait le reste[1] !

— Dans un siége, ma fille, il ne s’agit pas seulement des sorties… Les assiégeants entourent la ville de nombreuses redoutes ou bastilles garnies de machines, de traits, de bombardes d’artillerie, défendues par des fosses profonds… comment t’emparerais-tu de ces formidables retranchements ?

— Je descendrais la première dans le fossé, je monterais la première aux échelles, en disant aux gens d’armes : « Suivez-moi, entrons hardiment là-dedans ; le Seigneur est avec nous[2] !… »

Les deux chevaliers se regardèrent, ébahis des réponses de Jeanne ; Jean de Novelpont surtout éprouvait une émotion croissante qui touchait à l’admiration pour cette belle jeune fille d’une vaillance si naïve ; Denis Laxart pensait à part lui :

— Mon bon Dieu ! où Jeannette va-t-elle donc chercher tout ce qu’elle dit ?… Elle parle en capitaine !

— Jeanne, — reprit Robert de Baudricourt, — si je consentais, selon ton vœu, à te faire conduire devers le roi, il te faudrait traverser des contrées au pouvoir des Anglais… Le trajet est long d’ici en Touraine ; tu courrais de grands risques.

— Le Seigneur Dieu et mes bonnes saintes ne nous abandonneraient pas ; nous éviterions de passer par les villes en voyageant plutôt de nuit que de jour… Aide-toi… le ciel t’aidera !

— Ce n’est pas tout, — reprit Robert en attachant sur Jeanne un

  1. Procès de reh., t. II, p. 439.
  2. Ibid.