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— Par la mort du Christ ! c’est encore toi ! — s’écria Robert de Baudricourt en interrompant son ami et voyant la figure craintive de Denis Laxart apparaître à la fente du rideau de cuir ; — ne crains-tu pas de lasser ma patience ?

Denis ne répondit rien, s’effaça devant Jeanne ; celle-ci écarta le rideau, s’avança résolûment vers les deux chevaliers ; son oncle la suivait levant les yeux au ciel, tremblant de tous ses membres.




Jeanne vieille ou laide eût été sans doute à l’instant chassée dédaigneusement par Robert de Baudricourt ; mais il fut, ainsi que le sire Jean de Novelpont, frappé de la beauté de la jeune fille, de l’expression douce et mâle de ses traits, de son maintien chaste, modeste, assuré. Les deux chevaliers, saisis d’étonnement, se regardèrent en silence ; le sire de Novelpont, hochant la tête en souriant, semblait dire à son ami : « — Avais-je tort de vous conseiller de voir du moins cette pauvre visionnaire ? »

Robert de Baudricourt hésitait encore sur l’accueil qu’il devait faire à Jeanne, lorsque l’autre chevalier lui dit, afin de l’éprouver :

— Eh bien, mon enfant ? il faudra donc que le roi soit chassé de France ? et que nous devenions Anglais ? Est-ce pour empêcher cela que vous êtes ici[1] ?

— Messire, — répondit Jeanne d’un voix douce et ferme empreinte d’un accent d’irrécusable sincérité, — je suis venue ici, dans cette ville royale, afin de demander au sire Robert de Baudricourt de me faire conduire vers le dauphin de France ; l’on n’a pas eu souci de mes paroles, pourtant il faut qu’avant huit jours je sois auprès du roi. Si je ne pouvais marcher, j’irais sur les genoux ; il n’y a au monde ni capitaine, ni duc, ni prince, capables de sauver le royaume de France sans le secours que j’apporte de par l’assistance de Dieu et de ses saints[2]. — Puis Jeanne soupira et, le regard humide de larmes,

  1. Procès de réh., t. II, p. 435
  2. Ibid., p. 436 à 439.