virent Jeanne à souhait. Les marches de la Lorraine étaient souvent traversées par des messagers allant en Allemagne ou en revenant ; Jacques Darc, curieux de nouvelles comme le sont les gens éloignés du centre du pays, offrait de temps à autre l’hospitalité à ces chevaucheurs. Ils jasaient de la guerre des Anglais, seule affaire de ces tristes temps ; Jeanne, toujours contenue aux yeux de ses parents, étrangers aux vastes desseins qui fermentaient en elle, filait silencieusement sa quenouille, ne perdant pas un mot des récits qu’elle entendait. Parfois, cependant, elle hasardait timidement quelques questions aux voyageurs sur les intérêts relatifs à sa pensée secrète, et s’éclairait peu à peu. Ce n’est pas tout : les habitants de Vaucouleurs, par leur résistance héroïque, avaient plusieurs fois forcé les Anglais de lever le siége de cette place ; ceux-ci, aux approches de la mauvaise saison, allaient prendre leurs quartiers d’hiver en Champagne et revenaient au printemps ; durant ces marches, ces contre-marches, les partis ennemis ravagèrent de nouveau la vallée de la Meuse. Jacques Darc, ses enfants et d’autres laboureurs, furent encore obligés d’aller chercher un refuge au château de l’Ile, souvent rudement attaqué, vaillamment défendu. Le danger passé, les paysans retournaient au village réparer leurs désastres. Les séjours de la famille Darc dans le château de l’Ile, bien fortifié, occupé par des soldats expérimentés, les alertes, les veilles de guet, les assauts que la garnison eut à soutenir, familiarisèrent Jeanne avec le métier des armes ; recueillie en elle-même, obéissant à sa vocation guerrière, observant attentivement ce qui se passait autour d’elle, se rendant compte des préparatifs et des moyens de défense, écoutant, méditant les ordres donnés aux soldats par leurs chefs, elle apprenait ou devinait ainsi les principes élémentaires de l’art militaire. Ces notions germaient, fructifiaient, mûrissaient, dans l’esprit prompt et pénétrant de la jeune fille ; elle doutait moins d’elle-même lorsque ses voix, ou plutôt la conscience de son génie naissant, lui disaient :
« — Les temps approchent… Tu chasseras les Anglais de la