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c’était saint Michel archange tenant sa flamboyante épée d’une main, et de l’autre la couronne de France ; tantôt enfin des multitudes d’anges se jouaient à la vue de la jeune fille, au milieu d’un immense et éblouissant rayon projeté du ciel à la terre, où ils tourbillonnaient[1], comme ces atomes qui fourmillent à nos yeux dans l’axe d’un rayon de soleil traversant un lieu obscur. Mais ces visions étaient peu fréquentes, tandis qu’il ne se passait presque pas de jour sans que Jeanne, surtout après la sonnerie des cloches, n’entendît la voix secrète de son patriotisme et de sa vocation militaire lui dire par la bouche de ses chères saintes :

« — Jeanne, va au secours du roi de France ; tu chasseras les Anglais… tu lui rendras son royaume !…

» — Hélas ! je ne suis qu’une pauvre fille ; je ne saurais chevaucher ni conduire des hommes d’armes[2], » — répondait la modestie de la naïve bergère, n’ayant pas encore conscience de son génie. Cependant, parfois le souvenir de la légende de Merlin succédant à ces doutes d’elle-même, elle se demandait pourquoi elle ne serait pas appelée à réaliser cette prédiction ? Le Seigneur Dieu ne lui disait-il pas par la voix de ses saintes : — Va au secours de ton roi ? — N’était-elle pas née sur les frontières de la Lorraine et près d’un bois chesnu ? N’était-elle pas vierge ? Ne s’était-elle pas volontairement vouée à un célibat éternel, obéissant peut-être en cela non moins aux répugnances d’une chasteté invincible qu’au désir de donner ainsi un gage de plus à l’accomplissement de la prophétie du barde gaulois ? N’avait-elle pas, à l’âge de seize ans, confondu aux yeux de tous, par l’irrésistible sincérité de ses paroles, un jeune garçon de son village, un menteur, qui prétendait tenir d’elle une promesse de mariage[3] ? la pudeur ombrageuse de Jeanne se révoltant même à la pensée d’une légitime union ! Ne se rappelait-elle pas, enfin, que lors de cette bataille enfantine entre les garçonnets de Maxey et ceux de Dom-

  1. Procès de condamnation, t. I, p. 77.
  2. Ibid., p. 79-80.
  3. Ibid., p. 79.