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capitaine de la troupe fuyarde, brave soldat du reste, car il avait la tête fendue d’un coup de pierre, et son bonnet restait au pouvoir de l’ennemi, la bergerette arrête ce garçonnet par le bras et, indignée, s’écrie :

— Quoi… tu te sauves !

— Tiens, je crois bien ! — répondit le capitaine hochant la tête, et essuyant avec une poignée d’herbe son front ensanglanté ; — nous nous sommes battus tant que nous avons pu… mais ceux de Maxey sont une vingtaine, et nous ne sommes que onze !… Nous n’en pouvons plus…

Jeannette frappa du pied et reprit :

— Vous avez la force de vous sauver… et vous n’auriez pas la force de vous battre !

— D’abord ils ont des bâtons, et ça n’est pas de jeu…

— On fonce sur eux et on les prend, leurs bâtons !

— Ça t’est bien aisé à dire, Jeannette !

— Aussi aisé à faire qu’à dire ! — s’écria la bergerette ; — tu vas le voir… Venez ! venez !…

Et sans s’inquiéter si elle était ou non suivie, cédant à un élan involontaire, elle prend sa course vers l’ennemi, alors masqué par un massif d’arbres, et s’écrie d’une voix forte en agitant sa quenouille en manière d’étendard :

— France ! France ! hors d’ici Bourgogne et Angleterre !

Jeannette, pieds nus, bras nus, en manche de chemise blanche et en jupe écarlate, avec son petit chapel de paille sur ses longs cheveux noirs, la joue animée, le regard brillant, inspiré, était en ce moment si entraînante qu’Urbain et les autres garçonnets se sentirent soudain réconfortés, soulevés ; ils ramassent des pierres, et se précipitant à la suite de la bergerette qui, dans sa course rapide, semblait à peine effleurer le gazon, ils s’écrient comme elle avec exaltation : « — France ! France ! hors d’ici Bourgogne et Angleterre ! »