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tie de Merlin : — La Gaule, perdue par une femme, sera sauvée par une vierge des frontières de la Lorraine et du bois chesnu venue

Isabelle, veillant jour et nuit sa fille, attribuait l’égarement d’esprit de la pauvre enfant à la violence de la fièvre et au terrible souvenir du carnage des habitants de Saint-Pierre. Un grand abattement, une extrême faiblesse, succédèrent à la maladie de Jeannette ; revenue à Domrémy, elle dut rester au lit pendant quelques semaines, mais ses rêves lui retraçaient les mêmes images que son délire. Elle éprouva d’ailleurs un vif chagrin : sa marraine avait été, sans que l’on pût s’expliquer cette cruauté, l’une des victimes des Anglais ; son cadavre fut retrouvé percé de coups. Jeannette pleura Sybille, autant par tendre affection que par regret d’être à jamais séparée de celle qui lui contait de si merveilleuses légendes, d’ailleurs à jamais gravées dans sa mémoire.




Deux mois se passèrent. Jeannette touchait à l’âge de quatorze ans ; elle semblait revenue à la santé ; cependant, les symptômes de sa puberté n’ayant pas paru, elle ressentait fréquemment des douleurs de tête presque intolérables, suivies de vertiges et d’éblouissements. Isabelle, d’autant plus inquiète qu’elle se rappelait les paroles du médecin, alla de nouveau le consulter ; il répondit : « — que l’émotion violente causée par l’invasion des Anglais et par le spectacle de leurs cruautés avait dû jeter une perturbation profonde dans l’organisation de la jeune fille ; mais que ses maux cesseraient lorsque, plus tard sans doute, les lois de la nature suivraient leur cours. »

Cette réponse calma les alarmes d’Isabelle ; d’ailleurs, Jeannette s’occupait comme par le passé des travaux de la maison et des champs, redoublait d’activité, s’évertuant de cacher à tous les yeux ses tristesses involontaires, ses anxiétés, ses distractions, qui n’étaient plus sans motif… les désastres de la Gaule les causaient. Jeannette se disait