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ques pas d’elle, la reçut défaillante entre ses bras et, aidé de son père, la plaça sur le chariot à côté d’Isabelle.




La châtelaine du château de l’Ile, secourable femme, son mari, vaillant soldat, permirent aux fugitifs de Domrémy de camper, eux et leur bétail, dans les préaux, vastes dépendances de cette demeure fortifiée, presque inattaquable, située entre les deux bras de la Meuse ; malheureusement, les habitants du village de Saint-Pierre, surpris pendant leur sommeil, n’avaient pu gagner cet abri hospitalier. Les Anglais, après le ravage de la vallée, se repliant sur Vaucouleurs, concentrèrent leurs forces devant cette place, dont ils poussèrent activement le siége. Quelques-uns des paysans réfugiés dans le château de l’Ile, et parmi eux Pierre, l’un des frères de Jeannette, allèrent, pendant la nuit, à la découverte le surlendemain de leur fuite ; ils rapportèrent la nouvelle du départ de l’ennemi, qui, las sans doute d’incendie et de carnage, s’était éloigné de Domrémy sans y mettre le feu, après avoir pillé les maisons et tué quelques habitants. La famille Darc et les autres fugitifs, de retour au village, tâchèrent de réparer leurs désastres.

Jeannette, durant son séjour au château de l’Ile, avait été constamment en proie à un accès de fièvre ardente ; tantôt, durant son délire, elle invoquait sainte Catherine et sainte Marguerite, ses bonnes saintes, croyant les voir près d’elle et leur demandant à mains jointes de mettre terme aux férocités des Anglais, tantôt, la scène affreuse du hameau de Saint-Pierre se retraçant à son cerveau troublé, elle poussait des cris d’effroi ou sanglotait à la vue des victimes qui lui apparaissaient livides, sanglantes ; tantôt, enfin, le regard étincelant, la joue empourprée, elle parlait avec exaltation d’une vierge guerrière, revêtue d’une blanche armure, montée sur un blanc coursier, qu’elle voyait, disait-elle, exterminer les Anglais. Puis Jeannette répétait d’une voix palpitante ce refrain de la prophé-