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turnes des Anglais ; toute la paroisse fut bientôt sur pied, en proie à la consternation, à l’épouvante. Les plus effrayés, emportant quelques vivres, abandonnant tout ce qu’ils possédaient, s’enfuirent au fond des bois ; d’autres, espérant que les Anglais ne s’avanceraient peut-être pas jusqu’à Domrémy, hasardèrent de courir cette chance et restèrent au village ; d’autres, enfin, se décidèrent à chercher aussi un refuge dans le château de l’Ile. Bientôt la famille Darc quitta sa maison, Jeannette guidant ses moutons, qui obéissaient à sa voix ; Jacques conduisant le chariot, sur lequel était assise sa femme au milieu des paquets de hardes, de quelques sacs de blé et d’ustensiles de ménage entassés à la hâte ; les deux fils chargèrent sur leurs épaules les outils aratoires qu’ils pouvaient emporter. Cette fuite à travers les ténèbres, rougies à l’horizon par la réverbération des incendies, était navrante. Imprécations des hommes, gémissements des femmes, cris des enfants se pendant éplorés aux jupes de leurs mères, dont quelques-unes serraient contre leur sein un nouveau-né ; pêle-mêle effaré de paysans, de bétail, de chariots, se heurtant, s’encombrant, dans ce sauve-qui-peut d’une terreur nocturne… que dire enfin ?… c’était affreux ! Ces pauvres gens, laissant derrière eux leurs seules richesses, leurs greniers remplis de la dernière récolte, s’attendaient à les voir, avant la fin de la nuit, dévorés par les flammes, ainsi que l’humble demeure où ils étaient nés, où ils espéraient mourir. Ces désespoirs éclataient en sanglots, en plaintes douloureuses, et surtout en malédictions, en paroles de haine, de fureur contre les Anglais. Ce spectacle fit sur Jeannette une impression profonde, ineffaçable… les calamités de la guerre, pour la première fois, frappaient son esprit et ses yeux. Elle devait bientôt contempler ces désastres dans toute leur horreur !…




Les fugitifs arrivèrent près du hameau de Saint-Pierre, situé au bord de la Meuse ; un amas de décombres noircis, quelques dé-