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plice de l’héroïne, mais lorsqu’elle apparut se tordant au milieu du feu et d’une voix déchirante criant : — De l’eau, de l’eau ! — ce prêtre tressaillit, leva les mains au ciel, et murmura : — Grâce ! oh ! grâce !… — Enfin, lorsque Jeanne Darc expirante, dévorée par les flammes, jeta cette invocation suprême : Jésus !… le prêtre s’écria :

— Je suis damné !…

Puis il tomba renversé à nos pieds en proie à d’affreuses convulsions ; elles duraient encore lorsque la foule quitta le lieu du supplice afin de suivre les bourreaux chargés de jeter à la Seine les cendres de Jeanne Darc. Mon petit-fils et moi, émus de pitié pour ce malheureux, de qui les plus charitables s’éloignaient, le regardant comme possédé des malins esprits, nous le transportons à l’hôtellerie dans notre chambre, nous lui donnons nos soins ; peu à peu il revient à lui, nous regarde d’un air égaré, répétant avec épouvante :

« — Je suis damné !… je suis le complice et l’instrument de l’évêque de Beauvais dans le meurtre ecclésiastique de Jeanne !… »

Savez-vous qui était ce prêtre, fils de Joel ?… C’était le chanoine Loyseleur[1] !

Oui, lui, ce monstre en soutane, il a connu le repentir !… oui, revirement étrange, incroyable, auquel je n’ajouterais foi si je n’en avais été témoin, ce misérable sentit soudain son endurcissement féroce se changer en remords désespérés au spectacle du martyre de sa victime.

Ce n’est pas tout : lorsque ce prêtre nous vit témoigner l’horreur que nous inspiraient ses aveux, lorsque je m’écriai : — Maudits soient les secours que je t’ai donnés, assassin  !… — il me demanda d’une voix palpitante d’angoisse si je plaignais Jeanne ; mes larmes répondirent. S’informant alors de moi qui j’étais, et apprenant que mon admiration passionnée pour la vierge des Gaules et le désir de m’instruire de son sort, au nom de sa famille désolée, m’amenaient à Rouen,

  1. Voir pour le repentir du chanoine Loyseleur, Procès de révision, t. II, p, 178.