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Soudain un frémissement court dans la foule ; il annonce l’approche de la condamnée. Mahiet-l’Avocat d’armes, dont le petit-fils est mêlé à la foule à quelques pas de là, s’appuie au mur de l’hôtellerie, il a pour voisin un prêtre vêtu d’un froc noir, au capuchon complètement rabattu ; indifférent jusqu’alors aux conversations engagées près de lui, ce prêtre s’écrie d’une voix caverneuse :

— La voilà !… la voilà !…

Jeanne Darc, debout sur une charrette de labour traînée par un cheval, est vêtue du san-benito, longue robe noire parsemée de flammes rouges, et coiffée d’une sorte de mitre de carton noir où sont écrits ces mots : — Idolâtre. — Hérétique. — Relapse. — Le moine Isambard de la Pierre, l’un de ses juges, debout dans le chariot à côté d’elle, lui donne les consolations suprêmes ; elle les écoute… mais ces témoignages tardifs d’une compassion banale arrivent à son oreille comme un murmure confus… Elle n’attend plus rien des hommes ; son regard, élevé vers le ciel, plonge dans l’infini. Elle se sent détachée de la terre, elle a secoué ses dernières terreurs humaines ; oui ! au moment de monter sur le chariot, elle s’est écriée en sanglotant : « — Hélas !… faut-il que mon corps, si pur de toute souillure, soit bientôt détruit par le feu !… J’aimerais cent fois mieux être décapitée que brûlée !… » Mais, après cette dernière plainte, arrachée par l’appréhension de la douleur du corps, l’âme a vaincu la matière, la vierge des Gaules marche résolument au supplice… Le chariot s’arrête au pied de l’estrade où trônent le cardinal de Winchester, les deux évêques et les chefs de guerre.

Frère Isambard de la Pierre descend de la charrette, fait signe à Jeanne Darc de l’imiter, et lui donne l’appui de son bras, empêchée qu’elle est dans ses mouvements par les plis de sa robe traînante.

frère isambard. — Jeanne, agenouillez-vous, afin d’entendre l’excommunication et l’arrêt que va prononcer contre vous monseigneur l’évêque de Beauvais.

Jeanne Darc s’agenouille dans la poussière au pied de l’estrade