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— Je ne suis pas suspect, moi ! je suis Armagnac et royaliste, je déteste la domination anglaise ! Je regardais Jeanne quasi comme une sainte avant sa condamnation ; mais maintenant, je ne me permets pas même de la plaindre. Ce serait une manière de blâmer ses juges ; ma foi s’oppose à un pareil blâme !

— Et puis, est-ce que le tribunal ecclésiastique n’a pas montré combien l’Église est miséricordieuse, puisqu’il a admis une première fois Jeanne à la pénitence !

— Pourquoi a-t-elle été relapse, aussi !

— Tant pis pour elle si on la brûle !… elle l’aura voulu !…

— Alors, vous conviendrez qu’en allant volontairement au bûcher elle fait preuve de courage !

— De courage ?… Dites donc qu’elle fait montre d’une rébellion et d’une jactance idolâtres, puisque l’Église la condamne !

— Voyons, Jeanne Darc, oui ou non, a-t-elle vaincu les Anglais en vingt batailles ? a-t-elle fait sacrer le roi à Reims ?

— Je n’en disconviens point ; mais nos seigneurs les évêques jugent ces choses-là autrement et mieux que nous ne les pouvons juger. En un mot, mes compères, je ne sors pas de ce petit raisonnement, à mon avis, aussi simple que juste : l’Église est infaillible, l’Église condamne Jeanne ; donc, Jeanne est coupable !

Ce raisonnement, des plus orthodoxes, prévaut sur les timides et rares témoignages d’intérêt accordés à l’héroïne par quelques âmes pitoyables ; elle devait voir ceux-là mêmes qui étaient restés Français sous la domination anglaise, égarés par de nouveaux pharisiens, assister impassibles à son supplice, de même que son divin maître Jésus, condamné au gibet, vit ce peuple de pauvres et d’affligés, si aimés de lui, insensibles à son supplice, prononcé par les saints docteurs de la loi et les prêtres de son temps.

Ô peuple ! est-ce ton cœur qu’il faut blâmer ? est-ce ton ignorance, est-ce ton aveuglement qu’il faut plaindre ? lorsque tu laisses traîner aux gémonies tes divins défenseurs !