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consultant du regard à l’aspect de Jeanne Darc endormie ; puis d’un bond ils s’élancent à la fois vers elle… Réveillée en sursaut par le bruit des talons éperonnés résonnant sur les dalles, elle se redresse, se relève au moment où les deux officiers se précipitent sur elle… La malheureuse remarque avec terreur qu’ils sont sans armes ! ce n’est pas la mort qu’elle doit craindre !… Quelques mots obscènes, insultants ne lui laissent aucun doute sur le sort qui l’attend… elle… elle… la vierge guerrière !… Berwick la prend au milieu du corps, tandis que Talbot, passant derrière elle, la saisit par les bras, approche sa bouche impure des chastes lèvres de Jeanne Darc ; elle détourne violemment la tête, jette un cri affreux. Les deux Anglais l’entraînent vers la couche de paille… l’héroïne puise une force surhumaine dans l’énergie du désespoir… une lutte s’engage… horrible… horrible !… Berwick et Talbot, à moitié ivres, exaspérés par la résistance de l’héroïne, s’abandonnent à la fureur bestiale de la luxure inassouvie… ils frappent Jeanne Darc à coups de poings… son visage est meurtri… ensanglanté… elle résiste encore !…

La porte s’ouvre avec fracas, le chanoine Loyseleur, la physionomie bouleversée par une feinte indignation, entre tenant un coffret où sont renfermés les habits de Jeanne, et s’écrie en s’adressant au capitaine de la tour, dont il est accompagné : — Vous le voyez de vos yeux, on veut commettre sur cette infortunée un abominable attentat ! — Berwick et Talbot, stupéfaits des paroles du prêtre, qu’ils devaient croire leur complice, et ayant peut-être tardivement conscience de leur infamie, laissent Jeanne Darc s’échapper de leurs mains ; le capitaine de la tour leur fait signe de le suivre, ils obéissent avec un hébétement farouche. Jeanne Darc, éperdue, pantelante, le visage couvert de sang, tombe presque inanimée sur sa couche, près de laquelle le chanoine se hâte de déposer les vêtements masculins de l’héroïne ; il va, dans l’affliction de son âme, adresser la parole à la victime, lorsqu’il est brutalement interrompu par le geôlier, qui lui dit :