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pée dans sa robe, et craignant de céder au sommeil qui la gagne, elle n’a pas voulu rester sur sa couche de paille, et s’est assise à terre en s’adossant à la muraille ; mais ses paupières appesanties se ferment malgré elle, son front s’incline peu à peu et tombe appuyé sur ses genoux, qu’elle enlace de ses deux bras… Elle s’endort…

Soudain apparaît au guichet du cachot la figure blême du chanoine Loyseleur ; il voit Jeanne endormie et se retire…

Quelques instants après, la lourde porte de la prison s’ouvre lentement, doucement, et se referme si lentement, si doucement, que le sommeil de Jeanne Darc n’a été interrompu, ni par ce léger bruit, ni par les pas de deux hommes qui, marchant avec précaution, suspendant leur respiration, viennent d’être introduits dans ce sinistre lieu… Ces deux nobles hommes, officiers anglais, nommés Talbot et Berwick, ont été, lors du premier interrogatoire de Jeanne Darc, commis à sa garde par l’évêque Cauchon ; ils sont dans la vigueur de l’âge, ne portent ni armes ni armures ; leurs riches pourpoints sont tailladés, selon la mode du temps. Ces deux misérables ont cherché dans l’excitation du vin le courage de tenter l’atrocité inouïe… le crime sans nom… qu’ils veulent commettre ! leur joue est enflammée, leurs yeux étincellent, un sourire d’une lubricité féroce contracte leurs lèvres avinées… À l’aspect de Jeanne endormie, ils s’arrêtent un moment… se consultent du regard… puis…

Non ! fils de Joel ! non ! je ne peux continuer cet abominable récit !… La plume vient d’échapper de ma main, tremblante d’indignation et d’horreur ! des larmes ont voilé ma vue !… Non, je ne saurais poursuivre le récit de cette monstruosité !…

Et pourtant il le faut ! il faut que cette légende, dans sa complète et terrible réalité, vous inspire une inexorable et sainte exécration contre les bourreaux de l’héroïne plébéienne ! bourreaux casqués ou mitrés ! gens de guerre ou gens d’Église ! il faut que vous les voyiez à l’œuvre… Voyez-les donc… et souvenez-vous !… souvenez-vous !…

Les deux Anglais sont restés pendant un instant immobiles, se