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momentanément d’elle tout sujet d’alarmes pudiques, deux vieilles femmes ont été chargées de la veiller ; elles l’ont couchée dans un lit moelleux, elles ont desserré ses mâchoires, contractées par les convulsions, et lui ont fait boire quelques gorgées d’un breuvage calmant, puis quelques cordiaux puissants. Le médecin est venu de jour et de nuit visiter Jeanne Darc ; et le deuxième jour après son abjuration, elle se trouve hors de danger. Lorsqu’elle eut repris connaissance et conscience d’elle-même, elle se vit dans une vaste chambre proprement meublée ; les tièdes rayons du soleil se jouaient à travers les vitraux de la croisée ; deux vieilles femmes, assises au chevet de la malade, semblaient la regarder avec un touchant intérêt. Après s’être crue le jouet d’un songe, elle pensa que, sans doute, selon la promesse à elle jurée par le promoteur au nom de l’évêque, on l’avait mise secrètement en liberté, malgré sa condamnation à une éternelle captivité ; elle crut enfin que des personnes charitables, sans doute les deux femmes qui la gardaient, avaient obtenu de l’évêque de la faire transporter chez elles. Hélas ! vous le comprendrez facilement, fils de Joel, et vous n’aurez pas le courage de l’en blâmer, Jeanne, lorsqu’elle revint à la vie, ne ressentit que la joie d’être libre, n’éprouva d’abord aucun remords d’avoir publiquement renié la vérité, surtout par peur de l’effroyable ignominie dont elle était menacée avant son supplice… être exposée nue aux regards de la foule !… Le bonheur d’avoir échappé à tant de hontes, l’espoir de revenir bientôt à la santé, de retourner à Domrémy auprès de ses parents, étouffèrent en elle les voix sévères de la conscience et du devoir. Elle demanda aux deux vieilles dans quel lieu elle se trouvait ; elles sourirent et mirent leur doigt sur leurs lèvres d’un air mystérieux. Jeanne crut deviner à ce signe et à la bienveillante expression de la figure de ses gardiennes qu’elles ne pouvaient répondre à sa question, mais qu’elle était en un asile sûr et hospitalier ; gardant à ce sujet le silence qu’on lui recommandait, elle s’abandonna sans réserve au bonheur de revivre, de voir à travers ses fenêtres l’azur des