Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps, elle accoutumée dès son enfance à vivre au milieu des prairies et des bois, la plongeant dans une sorte d’extase, elle oublie ses souffrances, son martyre, sa condamnation, l’abjuration qu’elle va dans, un instant prononcer, ou si sa pensée s’y arrête, c’est pour songer avec ravissement que bientôt elle sera libre… Oh ! libre ! être libre ! revoir son village ; le vieux bois chesnu, la claire fontaine des Fées, les bords riants et ombreux de la Meuse !… revoir sa famille, ses amis, et, renonçant aux amères déceptions de la gloire, fuyant l’ingratitude royale, l’hypocrisie, la haine, l’envie des hommes, couler paisiblement ses jours à Domrémy, occupée des travaux rustiques comme aux beaux jours d’autrefois !… Et cela… tout cela… au prix de quelques vaines paroles prononcées devant ses bourreaux, ces monstres d’iniquité… Oh ! Jeanne, en ce moment d’exaltation, eût signé son abjuration de son sang ; les battements de son cœur, palpitant d’espoir, étouffaient en elle les voix austères de son honneur, de sa foi. En vain elles lui disaient : « — Ne défailles pas ! soutiens hardiment la vérité à la face de ces faux prêtres, et tu seras délivrée de tes misères, non pour un jour, mais pour l’éternité !… » Ce cri suprême de la conscience de l’héroïne n’est pas entendu… Hélas ! elle est bientôt rappelée à la réalité par la voix de l’évêque Pierre Cauchon lui disant d’un ton sévère et menaçant :

— Jeanne, à genoux !…

Jeanne Darc s’agenouille sans quitter du regard ce beau ciel d’azur, ce soleil radieux, où elle cherche la force de persévérer dans sa résolution d’abjurer. Il se fait un profond silence dans la foule, dont les premiers rangs peuvent entendre les paroles prononcées sur l’échafaud.

l’évêque cauchon, se signant et d’une voix retentissante. — « Mes très-chers frères, le Seigneur l’a dit à son apôtre saint Jean : le palmier ne peut de lui-même produire des fruits s’il ne reste pas dans la vie… Ainsi, mes très-chers frères, vous devez persévérer dans la véritable vie de notre sainte mère l’Église catholique, apos-