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celante de broderies ; puis c’est l’inquisiteur Jean Lemaître, sous son froc de moine, accompagné de Pierre d’Estivet, promoteur du procès, et de Guillaume Érard ; enfin, deux greffiers, portant écritoires et parchemins. À quelques pas derrière eux, soutenue par deux pénitents dont le vêtement gris est percé de deux trous à hauteur des yeux, Jeanne s’avance lentement ; sa faiblesse est extrême, et quoique ses yeux soient grands ouverts, elle ne paraît pas complètement réveillée, on la croirait encore sous l’influence engourdissante du breuvage soporifique et cordial. Elle semble regarder sans voir et entendre avec indifférence les huées de la foule, qui, parfois excitée par l’exemple des soldats anglais formant la haie, vocifère contre la victime. Elle est coiffée d’une grande mitre en carton noir sur laquelle on lit, écrit en grosses lettres blanches : Hérétique.— Idolâtre, — Apostate. — Une longue robe flottante de grosse laine noire l’enveloppe depuis le cou jusqu’à ses pieds nus. Elle s’arrête un moment devant l’échafaud ; tandis que le cardinal, l’évêque, les autres prêtres, y prennent place ; puis, sur le signe de l’un des greffiers, les deux pénitents, soutenant Jeanne Darc sous les bras, l’aident à monter les degrés conduisant à la plate-forme. Le ciel est d’une admirable sérénité, le soleil splendide ; la douce tiédeur de ses rayons pénètre, réchauffe peu à peu Jeanne Darc, frissonnante et encore glacée jusqu’aux os par l’humidité sépulcrale de la prison souterraine où elle a, durant tant de nuits, tant de jours, été ensevelie. Elle aspire avec délices, à pleins poumons, le grand air vif et pur ; l’atmosphère de son cachot était si lourde, si fétide ! Elle renaît ; son sang, engourdi, refroidi, se ranime, circule plus activement dans ses veines ; elle éprouve un bonheur indicible à contempler ce ciel d’azur inondé de lumière, à contempler l’herbe verte du cimetière, émaillée de fleurs printanières, et au loin, un massif de grands arbres au frais feuillage plantés aux abords de l’abbaye. Les oiseaux gazouillent, les insectes bourdonnent, tout chante, tout rayonne en ce doux mois de mai ! L’aspect de la nature, dont Jeanne est privée depuis si long-