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qui rien n’est caché, tu le sais, tu le vois, je bénis, je glorifie intérieurement ces visions, ces aspirations, signes révérés de ta toute-puissance ! je te proclame mon unique juge, ô mon divin maître ! et dans ta miséricorde infinie, tu me pardonneras quelques vaines paroles que m’arrachent le désir d’être encore l’instrument de ta volonté suprême et l’espoir de chasser enfin, avec ton aide, l’étranger du sol sacré de la patrie !… »

Hélas ! fils de Joel, Jeanne succomba devant ce tentateur infernal ; en vain elle entendit ses voix lui dire encore :

« — Renier la vérité, c’est renier Dieu ! Tu vas mentir à la face du ciel et des hommes par pudique honte plus encore que par peur du bûcher ; tu vas mentir dans l’espoir d’être libre et d’achever ta mission divine… Ce mensonge, quelle qu’en soit la fin, est lâche et coupable ! »

Mais Jeanne, affaiblie par les souffrances, épuisée par la lutte, et surtout épouvantée à la pensée de voir son corps virginal mis à nu par le bourreau et exposé sans voile aux regards des hommes, Jeanne, espérant enfin jouir de sa liberté, revoir sa famille, et peut-être achever sa mission libératrice, n’écoutant pas cette fois l’inflexible voix de son honneur, de sa foi, de sa conscience, promit au chanoine Loyseleur d’abjurer publiquement dès le lendemain, et de se soumettre à l’Église, à la condition d’obtenir de l’évêque l’assurance d’être mise en liberté aussitôt après son abjuration. Le chanoine offrit charitablement ses services à la prisonnière, espérant mener à bien cette négociation et obtenir, disait-il, à force d’instances auprès du farouche capitaine de la tour, la permission de se rendre à l’instant même chez le prélat. Cette permission, il l’obtint, on peut le croire ; vers minuit, il revint avec le promoteur et un médecin. Le promoteur jura solennellement à Jeanne Darc, au nom de l’évêque, qu’elle serait libre après son abjuration publique ; le médecin engagea la captive à prendre un breuvage à la fois cordial et soporifique ; ce breuvage lui donnerait le sommeil jusqu’au lendemain, et des forces pour la cé-